Toute ressemblance…

Publié le 10 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

Fanta Régina Nacro est l’auteur depuis plus de dix ans de petits films savoureux, pleins de vie et d’humour malgré leur vocation pédagogique. La réalisatrice burkinabè, la première femme à être passée derrière la caméra dans son pays, présente aujourd’hui son premier long-métrage. Elle reste fidèle, bien qu’il s’agisse d’une fiction, à sa vocation de cinéaste engagée, militante des valeurs humanistes et du développement de l’Afrique.
L’histoire, située dans un pays imaginaire, se déroule presque sans faille suivant les règles de la tragédie classique : unité de temps (une nuit), de lieu (le village qui sert de quartier général à un chef rebelle) et d’action (une tentative de réconciliation entre des armées ennemies). Après dix ans d’une guerre civile sans merci, en effet, le colonel Théo, à la tête des insurgés de l’ethnie des Bonandais, las de voir son sommeil troublé par d’horribles cauchemars, a décidé de proposer au président du pays, le leader de l’ethnie majoritaire des Nayaks, d’enterrer la « hache de guerre ». L’accord doit être conclu au cours d’un dîner suivi d’une cérémonie de réconciliation.
Mais la fête organisée par le colonel Théo pour célébrer l’accord de paix ne se passera pas comme prévu. Les militaires de chaque camp qui sont encore réticents face à la perspective de déposer les armes font régner une tension extrême. Et Edma, la femme du président, ne se résoud pas à fraterniser avec ceux d’en face. Car son fils est mort dans des conditions atroces lors des combats – il a été émasculé – et elle ne peut ni ne veut l’oublier. Quand elle apprend de la bouche du chef rebelle, qui veut à la fois soulager sa conscience et obtenir son pardon, qu’il l’a tué lui-même, elle refuse de tenir compte de ses remords et va immédiatement ourdir sa vengeance. Qui prendra un tour barbare : elle organise la capture et l’exécution à petit feu, au sens littéral du terme, autrement dit en le faisant rôtir comme du gibier, de celui qui n’est plus à ses yeux que le meurtrier de son fils.
Le film a beau se terminer par un sauvetage in extremis de la paix, on aura compris que cette Nuit de la vérité a aussi été celle de la haine, de la peur, de l’horreur. La réalisatrice n’a pas hésité à montrer plein écran des scènes proches de l’insoutenable. Ce qui fait la force de ce film sincère. Et donne une épaisseur à son plaidoyer contre les guerres et plus particulièrement les conflits ethniques hélas si fréquents sur le continent – impossible de ne pas penser pendant la projection aux conflits du Rwanda, du Burundi, du Liberia, de la République du Congo ou de la Côte d’Ivoire. Toute ressemblance avec des événements et des personnages réels… n’est donc en rien le fruit du hasard.
La réalisation, sans doute, n’est pas toujours suffisamment inventive et manque parfois de rythme, tout comme à l’occasion le jeu des acteurs, ce qui tend à souligner l’aspect un peu caricatural de certaines scènes. Mais on aurait mauvaise grâce à faire la fine bouche. Même à demi réussi, ce film-fable s’impose comme l’un des plus marquants parmi tous ceux qui ont été récemment tournés en Afrique. Au dernier Fespaco, où il a reçu un Prix du scénario tout à fait mérité, il se détachait du lot en raison de l’originalité du projet et de l’ambition de celle qui l’a tourné. Il n’est pas certain – c’est un euphémisme – que Fanta Régina Nacro ait réussi à hisser son film à la hauteur d’un « drame shakespearien » comme elle le voulait, mais elle a prouvé qu’on a raison, même sans grands moyens, de viser haut.

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