Organisation à la libyenne

Publié le 10 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

« Bonjour. Ça va, toi ? – Non, répond sèchement l’ami interpellé. J’ai trouvé la villa où l’on m’a logé à 3 heures du matin. On a tourné pendant deux heures. Certains des délégués ont même dû dormir dans la voiture. »
Le Sommet des chefs d’État n’a pas encore commencé que déjà les diplomates ont abandonné les formules de politesse convenues. La fatigue morale due aux tracasseries sécuritaires et bureaucratiques du régime libyen s’ajoute à l’épuisement physique causé par les problèmes de logement, dans une ville où le « Guide » a pourtant fait construire plus d’un millier de villas.
On ne compte plus les mésaventures occasionnées aux quelque 5 000 participants de tout ordre par l’incompétence des nombreux agents de sécurité, l’absence de bureau d’accueil digne de ce nom et la difficulté de s’y retrouver parmi les 1 500 véhicules – pour la plupart flambant neufs – assurant les liaisons entre le Palais des congrès et les hôtels.
Dans le « complexe des 700 », où sont logés les fonctionnaires de l’Union africaine et les membres des délégations ministérielles, les centaines de villas, toutes identiques, construites il y a deux ans en plein désert, sont alignées selon un ordre de numérotation défiant toute logique. Les gardes postés à chaque carrefour ne connaissent rien au plan de la cité, et la plupart ne parlent qu’arabe. Mieux vaut ne pas demander son chemin et rester discret, on risque de se faire expulser manu militari.
À l’intérieur de l’immense Palais des conférences, le raffinement architectural, la modernité des équipements contrastent avec la brutalité des agents de sécurité. Louis Michel, le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, dûment muni de son badge de VIP, tente, le 4 juillet, de passer le barrage sécuritaire pour rejoindre le président soudanais avec qui il a rendez-vous. Devant la porte qui sépare la foule anonyme du « club réservé », les gardes l’arrêtent, le saisissent par les bras, sans dire un mot, le regard noir. Le commissaire tente d’expliquer qu’il doit passer – et qu’il en a le droit. Sans succès. Il faudra l’intervention d’un membre de la délégation soudanaise pour libérer Louis Michel de ses geôliers.
Cela se passait au début du Sommet. Le lendemain, alors que la conférence touche à sa fin, mais que les chefs d’État sont toujours dans les locaux, il suffit de sourire gentiment au cerbère de service pour pénétrer dans le saint des saints…
Dans le hall de l’hôtel des journalistes, l’absurdité des mesures de sécurité atteint son comble. Arrivés à 3 heures du matin par bus de Tripoli, la vingtaine de confrères chargés de caméras et autres matériels de transmission attendent que l’unique surveillant fouille méticuleusement le moindre recoin de leurs bagages, ouvrant les objectifs des appareils photo, vérifiant les pages des livres, examinant les tubes de dentifrice. Certains ne gagneront leur chambre que quatre heures plus tard. Suspectant tout, mais ne confisquant aucun objet potentiellement dangereux, le garde s’attarde même quelques secondes sur le tampon hygiénique qui traîne au fond du sac d’une journaliste. On ne sait jamais…
« Les Libyens sont restés à une conception de la presse qui date des régimes marxistes d’il y a trente ans, commente un photographe coutumier du pays. Même en Irak ou à Cuba, ce n’est plus comme ça. » Effrayées par ces empêcheurs de tourner en rond, les autorités libyennes ont confisqué les passeports des reporters étrangers à leur arrivée à Syrte. Un journaliste kényan doit même retourner à Tripoli (à 450 kilomètres à l’ouest) parce que son accréditation n’est pas conforme. Un aller-retour qui lui prendra vingt-quatre heures.
Tout se complique encore quand Mouammar Kadhafi arrive au Sommet. Les téléphones mobiles, même satellitaires, sont coupés. Un brouillage organisé qui paralyse les délégations elles-mêmes. Les photographes ne sont admis que lors de la séance plénière, rigide et peu photogénique. Tout ce qui est vivant (les apartés, les salamalecs) leur est interdit.
Dans les couloirs du Palais des congrès, rares sont ceux qui ne se plaignent pas des conditions d’accueil. Les habitués, blasés, reconnaissent qu’on devait s’y attendre. Les plus cyniques notent que Kadhafi offre le gîte et le couvert pour tous, et même les billets d’avion pour certains. L’Union africaine, en difficulté financière, n’a presque rien déboursé. Est-ce une raison pour se faire dicter des lois portant atteinte à la liberté de circulation, d’opinion et d’expression ?

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