La paix par les urnes

Publié le 10 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Le prochain président de la République burundaise, s’il n’est pas Pierre Nkurunziza lui-même, sera certainement issu des rangs de l’ex-rébellion hutue. En effet, le résultat des élections législatives, qui se sont tenues le 4 juillet dernier, consacre la victoire du mouvement qu’il dirige, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Avec 58,23 % des voix, celui-ci remporte cinquante-neuf des cent sièges de l’Assemblée nationale. Les élections communales du 3 juin lui ont déjà apporté la majorité absolue dans onze des dix-sept provinces. Or, comme ce seront les conseillers communaux qui éliront les sénateurs le 29 juillet prochain, le CNDD-FDD sera, à l’évidence, majoritaire au Congrès qui, le 19 août, élira le chef de l’État. L’autre parti hutu, le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu) du président sortant Domitien Ndayizeye, se révèle être le grand perdant de ces élections avec 22,33 % des voix, soit 24 sièges. Dans certaines circonscriptions, il est même devancé par l’Unité pour le progrès national (Uprona) de Louis Rwagasore, premier parti tutsi auquel appartient l’ancien chef de l’État Pierre Buyoya. L’Uprona arrive loin derrière avec un résultat de 7,3 % (10 sièges).
Avec un taux de participation proche de 70 %, le scrutin s’est déroulé dans un calme qui lui a valu les félicitations de l’Union africaine et des Européens. Conscient de l’enjeu, le dernier groupe rebelle toujours actif, les Forces nationales de libération (FNL), s’était engagé à ne pas jouer les trouble-fête. Deux mille Casques bleus avaient été déployés à travers le pays pour garantir la sécurité, et, selon Carolyn McAskie, qui dirige l’Opération des Nations unies au Burundi (Onub), les quelques incidents mineurs relevés par les observateurs ont été sans incidence sur les résultats.
Dès le 6 juin, au vu des premières estimations, Hussein Radjabu, secrétaire général du CNDD-FDD, a tenu à faire savoir à ses compatriotes que son mouvement entendait bien faire de sa victoire « celle de tous les Burundais » et oeuvrer pour la nation entière : « Nous n’allons pas assister au retour du monopartisme, a-t-il déclaré. Les perdants seront associés à la gestion du pays. » Par ses mots, il traduit la volonté affichée par son mouvement de se déconnecter d’un passé douloureux – douze ans de guerre civile – et d’« avancer », comme le proclame son slogan en swahili : songa mbele. Le Frodebu, par la voix de son président Jean Minani, président de l’Assemblée nationale de transition, a félicité ses adversaires et affirmé qu’il acceptait et respectait le verdict des urnes. Il a pourtant noté que de nombreuses irrégularités ont entaché le scrutin. Toutefois, ses propos ont été bien plus modérés que lors des élections communales, où il avait gravement mis en doute la transparence du vote et appelé tous les Burundais à la révolte.
La nouvelle Assemblée entérinera donc la réconciliation définitive des Burundais, toutes ethnies confondues. Formée de cent députés élus pour cinq ans, elle doit se conformer aux accords d’Arusha de 2000 avec 60 % de Hutus et 40 % de Tutsis, ce qui donne un peu plus de poids à ces derniers dans le partage du pouvoir, puisqu’ils ne représentent que 14 % de la population totale. La répartition du nombre de sièges attribués à chaque communauté étant fixé à l’avance, les scores des différents candidats lors des élections servent uniquement à déterminer le nom de celui qui va l’occuper.
Ce strict partage, point d’équilibre du rapport de forces entre Tutsis et Hutus, si longtemps fauteurs de guerre, a éloigné la menace d’un vote purement ethnique. C’était aussi la propre volonté des électeurs. Jugés à l’aune des réactions populaires lors de la campagne électorale, ceux-ci se sont révélés plus intéressés par les programmes concrets des partis que par leur origine communautaire. À la lumière des élections communales, il apparaît également que le vote a eu valeur de sanction contre certains leaders politiques, accusés d’avoir mieux géré leur carrière politique personnelle que le pays. Ainsi explique-t-on par exemple, lors des communales, la déroute de l’ancien chef de l’État Jean-Baptiste Bagaza dans la commune de Rutovu (sud du pays).
L’ensemble du processus qui conduit le Burundi à sortir de sa période de transition est observé avec attention dans toute la région des Grands Lacs, en particulier par son puissant voisin, le Rwanda. Ce pays, qui souffre toujours de la présence d’une rébellion armée de l’autre côté de sa frontière avec la République démocratique du Congo, voit d’un très bon oeil revenir une stabilité qui s’annonce durable au sud. Quoique différents dans leurs options politiques et dans leur manière de percevoir la question ethnique, le chef de l’État rwandais Paul Kagame et son homologue burundais Domitien Ndayizeye ont montré leur entente en collaborant efficacement pour résoudre le problème des réfugiés rwandais au Burundi. Ces derniers, fuyant la justice populaire rwandaise, s’étaient placés sous la protection du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de l’autre côté de la frontière. Ils ont été invités à rentrer chez eux.
Plus largement, si elle s’achève sans heurt, la transition burundaise, à l’origine une solution politique à la guerre civile, peut servir d’exemple à l’ensemble du continent. Elle aura prouvé qu’il est possible de trouver une « solution africaine à un problème africain ».

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