Inquiétudes pour la France

Publié le 10 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Les esprits sont encore fixés sur les attentats de Londres et sur la réunion du G8 : nous traitons ces deux événements pages 12-18 et analyserons leurs prolongements dans notre prochain numéro.
J’ai choisi de vous parler cette semaine de la France, dont la situation actuelle et l’avenir immédiat me paraissent préoccupants. Depuis quarante ans que j’observe ce pays, je ne l’ai jamais vu dans une passe aussi difficile.
Il compte aujourd’hui 62 millions d’habitants (1 % de la population mondiale) dont le revenu annuel par habitant (30 000 dollars) se situe désormais au 19e rang mondial, même s’il procure encore un niveau (et des conditions) de vie enviable.
La France est membre du G8, ce qui signifie qu’elle est toujours dans le peloton de tête des nations.

La France est certes la 5e puissance économique mondiale, mais son rival séculaire, le Royaume-Uni, l’a dépassée depuis près de dix ans. Et semble solidement installé devant elle, à la 4e place.
Lorsque, le 6 juillet 2005 à Singapour, le Comité international olympique (CIO) a préféré Londres à Paris pour les Jeux de 2012, il n’a fait que traduire ce déclassement de la France, le souligner – et l’aggraver.
En un siècle, Londres aura abrité les olympiades trois fois tandis que Paris, qui, en 2005, ne doutait pas de sa victoire, aura vu sa candidature rejetée pour la troisième fois.
Le moral des Français et leur confiance en eux-mêmes, qui n’étaient déjà plus à leur meilleur niveau, s’en sont trouvés affectés plus qu’il n’y paraît. Qui, à leur place, n’aurait pas été assailli par le doute et le découragement ?

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Cette dernière péripétie des jeux Olympiques n’est, cependant, que la partie visible de l’iceberg : le « mal français » remonte à beaucoup plus loin, et il est bien plus profond.
La Ve République française est née en 1958 de la volonté du général de Gaulle. Pendant les trente premières années, elle a eu à sa tête quatre bons présidents, qui ont conduit une bonne politique et pris de bonnes décisions. Au cours de cette période, la France a donc enregistré d’énormes progrès.
À mes yeux, le mauvais tournant a été pris en 1988, lorsque, au terme d’un premier (et assez bon) septennat, François Mitterrand, qui se savait atteint d’un cancer entré dans sa phase évolutive, a néanmoins décidé, pour des raisons qui ne pouvaient être que personnelles, de se faire réélire pour sept ans.
À partir du début des années 1990 et de la calamiteuse décision de nommer, en mai 1991, Édith Cresson comme Premier ministre, il va se traîner jusqu’à la fin de son mandat (mai 1995), empêché de gouverner par la maladie et la cohabitation.
En dix ans, dont cinq de cohabitation, son successeur, dont il avait prédit qu’il n’aurait pas l’étoffe présidentielle, n’a pas réussi à remettre la France en selle : la glissade s’est poursuivie, et s’est même accélérée pour conduire à la situation d’aujourd’hui, dont je disais au début de cette chronique qu’elle était des plus préoccupantes.

L’économie, les finances, le social
« La France vit au-dessus de ses moyens ! » C’est son ministre des Finances, Thierry Breton, qui, tout récemment, a osé ce diagnostic, sans toutefois aller jusqu’à préciser que cela durait depuis un bon quart de siècle.
Le déficit budgétaire étant de règle depuis plus de vingt-cinq ans, comme d’ailleurs celui des comptes sociaux, l’endettement de l’État a fini par atteindre des sommets inquiétants (1 100 milliards d’euros, soit les deux tiers du PIB annuel), de sorte que :
– le paiement des annuités qui en résultent absorbe la totalité de l’impôt direct, dont le taux est pourtant très élevé ;
– la France est dans l’incapacité de respecter le fameux « pacte de stabilité » qu’elle a signé, donnant ainsi le mauvais exemple et perdant beaucoup de sa crédibilité en Europe ;
le gouvernement français n’a presque pas de marge financière : comme ses homologues africains, il doit d’abord payer une armée de fonctionnaires (trop nombreux 1 pour être correctement payés et défendus par des syndicats qui interdisent qu’on en diminue les effectifs).

À la fin des années 1990 et à l’initiative du gouvernement socialiste, qui était alors aux affaires, la France a pris la décision stratégique d’adopter la RTT (réduction du temps de travail) : travailler moins (35 heures par semaine au lieu de 39) pour vivre mieux ; viser moins de chômage et… plus de pouvoir d’achat.
Ni la RTT ni aucune mesure (gouvernementale ou autre) n’ont permis, jusqu’ici, de réduire le chômage. Devenu structurel, il touche plus de 10 % de la force de travail : près de 2,5 millions de chômeurs sont assistés en permanence.

La politique extérieure
L’épisode de l’opposition de la France à la guerre d’Irak, le discours flamboyant de Dominique de Villepin à l’ONU, diverses déclarations de Jacques Chirac ont donné l’impression (ou l’illusion) d’une politique étrangère affirmée.
La réalité est tout autre : chaque année qui passe, chaque mois même, montre que la France n’a plus de politique arabe ni de politique africaine lisibles.
Où s’élaboreraient-elles et qui les mettrait en oeuvre ?
Il n’y a pas en France l’équivalent d’un Gordon Brown (voir pages 28-29) et l’on n’imagine pas une « Commission pour l’Afrique » comme celle créée par Tony Blair, qui a siégé pendant plusieurs mois et a élaboré des propositions soumises au G8 (en partie acceptées par lui).
En France, mis à part quelques ambassadeurs au grand dévouement et des services techniques 2, il n’y a, en tout et pour tout, pour s’occuper de toute l’Afrique – à plein temps et au niveau politique – que deux personnes : un homme à l’Élysée et une femme au Quai d’Orsay.
Autre signe fort et qui ne trompe pas : pour la première fois depuis la fin de la IVe République, le ministère des Affaires étrangères a été octroyé, en récompense pour services rendus, à une personnalité politique respectable mais qui n’a aucune connaissance ni aucune expérience des problèmes internationaux, encore moins africains ou arabes.

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Nous sommes à vingt-deux mois de la prochaine élection présidentielle, ce qui signifie que la France sera bientôt… en campagne électorale. Désavoué par la majorité des électeurs lors du référendum du 29 mai, l’actuel président s’est crânement maintenu à son poste, bravant l’impopularité et les très mauvais scores dans les sondages.
Il a mis au gouvernement le dernier carré de ses fidèles, et à leur tête Dominique de Villepin, l’homme placé en orbite pour lui succéder, curieusement flanqué de Nicolas Sarkozy, celui dont il faut contenir les ardeurs, à qui il faut barrer le chemin.
Improbable attelage chargé de la lutte à outrance contre le chômage. Mais sans moyens financiers et avec la recommandation expresse d’éviter de « braquer » les syndicats.
Dirigé par deux hommes politiques rivaux, tous les deux candidats à la succession de Jacques Chirac, le gouvernement de Dominique de Villepin ne pourra pas gérer correctement une période préélectorale.

En se mettant et en mettant la France dans cette situation impossible, Jacques Chirac ne se rend pas service et ne rend pas service à son pays. Peut-être en viendra-t-il, dans deux ans, à regretter de n’être pas parti au lendemain du référendum du 29 mai dernier.

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1. 5,3 millions, soit nettement plus que dans les pays développés comparables. Il suffirait de ne remplacer qu’à 50 % les 70000 fonctionnaires qui partentchaque année à la retraite pour que la France équilibre, en quelques années, son budget. Depuis dix ans, Jacques Chirac ne s’est pas résolu à affronter les syndicats sur ce terrain.
2. J’y inclus le ministère délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie etl’Agence française de développement(AFD), qui ont pour champ le monde entier.

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