Un retraité pas si tranquille

La transition démocratique achevée, le colonel Ely Ould Mohamed Vall a fait valoir ses droits à la retraite. Mais a-t-il renoncé à toute ambition politique ?

Publié le 10 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Aux journalistes qui s’inquiétaient de son avenir après la fin de la transition, le colonel Ely Ould Mohamed Vall (55 ans), grand artisan du putsch du 3 août 2005, répondait invariablement, dans un sourire à demi masqué par son épaisse moustache, qu’après dix-neuf mois consacrés à implanter la greffe de la démocratie dans les sables mauritaniens, il avait bien l’intention de prendre sa retraite. Bien sûr, il ne réussissait pas à convaincre ses interlocuteurs Pourtant, ses proches s’employaient à répéter que, oui, oui, il n’aspirait plus qu’à retrouver ses habits de « simple citoyen ». Au Mali voisin, le général Amadou Toumani Touré, auteur du coup d’État de 1991 et promoteur de la transition démocratique qui s’ensuivit, ne vient-il pas de se faire élire pour la deuxième fois à la présidence de la République ? Arracher le pouvoir à un dictateur pour le remettre aux civils vaut souvent toutes les campagnes électorales

« Ely » en sait quelque chose. Depuis qu’il n’est plus chef de l’État (Sidi Ould Cheikh Abdallahi, son successeur, a été investi le 19 avril), les visiteurs se bousculent à la porte de sa demeure, l’une des plus imposantes de Nouakchott, à deux pas du palais présidentiel. Parents, chefs de tribu, politiques (dont l’ancien Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar), curieux, amis, citoyens lambda, hommes d’affaires (notamment Mohamed Ould Bouamatou, ancien président de la confédération patronale et PDG de la Générale de banques de Mauritanie) : il les reçoit tous, par « tradition », selon ses propres mots, et parce qu’il ne serait « ni poli, ni correct, ni acceptable de leur fermer la porte ». « Tous ceux qui sont satisfaits de la transition viennent le saluer, raconte un observateur. Pour le remercier, ils lui apportent des présents, des chameaux, des moutons »

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Certains voient dans l’ancien directeur général de la Sûreté nationale, poste qu’il occupa vingt ans durant, une « personnalité prestigieuse », un « héros », un « messie », voire « le grand sage assis sous son baobab ». Mais d’autres sont convaincus que ces audiences à répétition n’ont d’autre objectif que de préparer la présidentielle de 2012, à laquelle l’actuel chef de l’État, atteint par la limite d’âge, ne pourra se présenter.
Bien sûr, l’intéressé reste évasif : « Il est trop tôt pour se prononcer sur cette question », lâche-t-il. Quant à savoir si certains proches collaborateurs de l’ancien Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), notamment le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, sont au nombre de ses invités « Je reçois tout le monde, je ne particularise pas », répond-il fermement. « Pour le moment, commente l’un de ses proches, Ely ne peut se lancer en politique, c’est trop tôt. Le gouvernement n’ayant pas encore eu le temps de véritablement agir, il ne peut pas prendre position. Mais il le fera, il est à l’affût. » Avec les nouvelles autorités, il affirme n’avoir, pour le moment, « aucun contact particulier ». Depuis son investiture, Sidi Ould Cheikh Abdallahi l’a quand même appelé une fois au téléphone, mais « pour des amabilités ».
Sauveur, homme d’influence ou les deux à la fois, il ne fait aucun doute qu’Ely Ould Mohamed Vall dispose dans le pays d’un crédit sans égal. Pourtant, à l’exception d’un don de 38 millions de F CFA à la mosquée Sankoré de Tombouctou (où il participa, en 2006, à une prière pour la fête du Mouloud), et d’une brève intervention, le 27 mai, sur la chaîne qatarie Al-Jazira (pour nier l’ingérence des militaires dans la vie politique et souligner l’importance des relations mauritano-israéliennes), il reste, depuis son départ à la retraite, sur la réserve.

La rumeur évoque bien la création d’une « fondation » – le divertissement préféré des anciens chefs d’État – ou diverses activités dans les télécoms. Mais Ely jure ne pas s’être « organisé pour l’instant » et n’avoir « aucun intérêt dans aucune entreprise en Mauritanie ». « Il ?est discret, il s’efface pour mieux revenir », estime un observateur.
Pour le moment, l’ancien chef de la junte semble bel et bien avoir décidé de se reposer. Depuis le 19 avril, il a séjourné à deux reprises dans sa maison à 150 km au nord de Nouakchott, en Inchiri, une région où les hommes sont aussi rares que les arbres ?et où l’on suppose qu’il ?a partagé son temps entre la lecture, le sommeil et de longues conversations avec son épouse Dans les mois qui viennent, il envisage de partir à la découverte « d’autres régions de l’intérieur ».
Ely a pris son temps avant de voyager à l’étranger, lui que nombre de ses compatriotes imaginent volontiers en arbitre des crises africaines au sein de quelque structure continentale – une hypothèse qu’il n’exclut pas, bien qu’il n’ait encore reçu aucune proposition concrète. Pour la première fois, il a quitté la Mauritanie aux environs du 20 mai. Direction, le Qatar (après une brève escale à Paris), où il a ouvert une conférence sur la démocratie dans le monde arabe, de concert avec un autre militaire au profil comparable au sien : le général soudanais Souwar Ad Dahab, qui, après s’être emparé du pouvoir par la force, en 1984, mit en place à Khartoum un gouvernement civil. À Doha, il a été invité par l’épouse de l’émir, celui-là même qui accorda l’asile à Maaouiya Ould Taya après son renversement ! Bien sûr, il jure n’avoir eu « aucun contact direct ou indirect » avec l’ancien dictateur.

Sur le chemin du retour vers Nouakchott, il s’est de nouveau arrêté dans la capitale française. Logé dans un hôtel quatre étoiles de la rive gauche, il a flâné dans les musées : Orsay, le Louvre – où il a vu la Joconde pour la première fois -, le Quai Branly (consacré aux arts d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Océanie) – « une très grande découverte », dit-il. Prochaine étape, l’Espagne, où, le 14 juin, l’ancien chef d’État est invité à participer à une conférence sur l’immigration. Puis ce sera le retour en Mauritanie, autour du 17 juin. « À partir de ce moment-là, je m’organiserai », prévient Ely.

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