L’hyperpuissance ébranlée

Publié le 10 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Les États-Unis peuvent encore prétendre à une domination tous azimuts. C’est la première économie mondiale. Leurs dépenses militaires sont plus importantes que celles des quatorze pays suivants réunis. Sa culture populaire, du cinéma à la musique en passant par les fast-foods, est sans rivale dans le monde. Des entreprises américaines ont révolutionné la technologie de l’information. Après leur victoire dans la guerre froide, il n’y a pas d’alternative cohérente aux idées politiques et économiques (démocratie et capitalisme) associées aux États-Unis. La plupart des institutions les plus importantes du monde sont soit basées aux États-Unis (ONU, FMI, Banque mondiale), soit dominées par les Américains (Otan).
Et pourtant, chacune de ces formes de domination est contestée. Le défi le plus évident est économique. Les progrès de la Chine sont si rapides que Goldman Sachs revoyait récemment ses estimations du moment où l’économie chinoise dépasserait celle des États-Unis. La banque estime désormais que ce sera en 2027 (en termes de dollars réels) plutôt qu’en 2035 comme initialement prévu. L’empire du Milieu est déjà la quatrième économie du monde. En 2020, elle sera plus importante que celle de tous les membres du G8, excepté les États-Unis.

L’Inde, elle aussi, comble rapidement son retard. Goldman Sachs estime qu’en 2025 son économie sera plus importante que celle de six des membres du G8, et qu’en 2050 elle aura aussi dépassé celle des États-Unis. La taille économique se traduira inévitablement en pouvoir politique. Il est déjà anachronique que les Chinois et les Indiens ne participent au G8 que dans le cadre d’une rencontre « parallèle » sur les économies en développement. Si le G8 se proposait vraiment d’arriver à un accord sur le réchauffement climatique, les Indiens et les Chinois devraient y être associés à part entière. Et ce qui est vrai du changement de climat l’est aussi de toute une série d’autres problèmes, tels que le basculement vers l’Est du pouvoir économique.
Quand la Chine sera le plus grand marché du monde et la première source d’épargne, les hommes d’affaires et les banquiers internationaux devront tenir compte des régulateurs chinois, de la même manière qu’aujourd’hui ils suivent de près les activités de la Commission américaine des opérations de bourse et de la Réserve fédérale. La menace d’une exclusion des marchés chinois – déjà plutôt redoutable – fera trembler les dirigeants politiques du monde entier.
Une économie gigantesque aura plus d’argent à investir dans la forme la plus fondamentale du « pouvoir dur » : l’armée. Les dépenses militaires de la Chine sont déjà assez importantes pour que certains analystes puissent penser qu’elle pourrait contester la prééminence américaine en Asie, notamment s’il y avait un clash à propos de Taiwan. Il faudra encore beaucoup de temps avant qu’un autre pays puisse aspirer à la suprématie militaire actuelle des États-Unis. Mais la guerre en Irak a montré que cette énorme puissance de feu n’est pas aussi efficace que beaucoup d’Américains l’imaginaient. Sinon, pourquoi les États-Unis seraient-ils dans l’impossibilité de venir à bout d’un pays du Tiers Monde peuplé de 27 millions d’habitants ?
L’Irak a aussi entamé la capacité de l’Amérique à diriger le monde de bien d’autres manières. Le prestige américain en a pris un sérieux coup – ce qu’ont montré plusieurs sondages. L’élection d’un nouveau président et la fermeture du camp de Guantánamo pourraient en partie réparer les dégâts. Mais le désir qu’a l’Amérique de conduire le monde s’est lui aussi émoussé. L’évidence que la démocratie, l’économie de marché et l’armée américaine balaieraient tout sur leur passage cède la place à une vision du monde plus prudente et plus réaliste.
Le leadership technologique et intellectuel américain lui-même a été ébranlé par les échecs de George W. Bush en politique étrangère. Le contrecoup sécuritaire du 11 Septembre a porté atteinte aux capacités des universités américaines à attirer les meilleurs cerveaux de la planète. Cette déconvenue tombe particulièrement mal pour les États-Unis au moment où les Chinois et les Indiens commencent à investir sérieusement dans la recherche et le développement.

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L’érosion de la puissance américaine est amorcée. Mais ce serait une erreur de croire que le leadership américain prendra fin le jour – dans vingt ans – où l’économie de la Chine dépassera celle des États-Unis. La taille n’est pas tout. Même quand l’économie chinoise sera plus importante que celle des États-Unis, l’Américain moyen sera encore beaucoup plus riche que le Chinois moyen. Richesse plus liberté politique : il est probable que le « rêve américain » restera beaucoup plus attirant que la réalité chinoise pendant encore de longues années – et qu’il renforcera la puissance intellectuelle et culturelle qui est une des bases de la capacité de l’Amérique à mener le jeu.

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