Blogueurs en ligne de mire

À la pointe de la contestation, les cyber-activistes inquiètent les autorités. Qui réagissent avec leur brutalité habituelle.

Publié le 10 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

Depuis leur mariage, fin avril, Gamal Moubarak, le fils du raïs, et Khadija el-Gamal, son épouse, sont la cible privilégiée des caricaturistes sur Internet. Pour le plus grand plaisir des Égyptiens branchés. Mais certains « cyberactivistes » n’auront pas l’occasion de rire avant longtemps. C’est le cas d’Abdul Moneim Mahmoud, responsable du site britannique des Frères musulmans, qui a été arrêté le 15 avril, accusé d’« appartenance à une organisation illégale » et placé en détention. Il est probable que les violentes dénonciations, sur son site Web (en anglais), des tortures infligées aux prisonniers islamistes ne sont pas étrangères à cette condamnation. C’est le deuxième blogueur incarcéré en Égypte depuis six mois.
Les premiers blogs sont apparus en 2003. Deux ans plus tard, on en recensait déjà 376. Aujourd’hui, le site The Egyptian Blog en dénombre plus de 1 400 en activité, dont un tiers classé dans les catégories « politique » et « société ». 40 % d’entre eux étant rédigés en anglais, on peut penser que nombre de leurs animateurs sont issus d’un milieu aisé. « Les blogueurs les moins fortunés, qui ne possèdent pas d’ordinateur, ont recours aux cybercafés », note Moaz, qui milite lui aussi pour la démocratisation de son pays via Internet.
Face à une telle déferlante, les autorités semblent résolues à serrer la vis. Le 22 février, un Alexandrin de 22 ans, Abdel Kareem Nabil, alias Kareem Amer sur le Net, a été condamné à quatre ans de détention. Un an pour insulte au chef de l’État, et trois pour « incitation à la haine de l’islam ». Sur son blog, le jeune homme avait qualifié le ramadan de « mois de l’hypocrisie ». L’université religieuse d’Al-Azhar, où il a fait des études de droit, l’ayant attaqué en justice pour « athéisme » et « mépris des religions », le gouvernement a sauté sur l’occasion pour rappeler à l’ordre la blogosphère. En s’en prenant à un activiste critiquant la religion, il était sûr d’avoir l’opinion de son côté « Ces deux affaires sont révélatrices de la propagande du régime, analyse Julien Pain, responsable Internet à Reporters sans frontières. D’un côté, en condamnant un laïc, il se pose en défenseur de la religion ; de l’autre, il montre qu’il combat l’islamisme en arrêtant un Frère musulman. »
Quoi qu’il en soit, la condamnation de Kareem Amer sonne comme un avertissement. « Il s’agit du premier blogueur condamné pour ses écrits et non pour sa participation à une manifestation », commente Moaz. Ce verdict intervient quelque mois après un autre jugement, qui, celui-là, constituait pour eux une première victoire. En novembre 2006, une vidéo diffusée sur la Toile avait montré des policiers très occupés à violer un chauffeur de minibus avec une matraque. Un mois plus tard, les fonctionnaires concernés avaient été incarcérés
Wael Abbas, le propriétaire du blog sur lequel le film est diffusé, est l’une des figures de proue de l’opposition « en ligne ». Son site enregistre 1 million de connexions par mois. Et « 2 millions en temps de crise ». « Internet, explique ce journaliste de 32 ans, est le seul espace qui échappe à la censure. Le régime tente de le réduire au silence, mais, chaque jour, une dizaine de nouveaux blogs sont créés. » Malgré la répression, Nora (25 ans) croit elle aussi au pouvoir de mobilisation des blogs. « Même si je risque la prison, dit-elle, je ne me tairai pas. Je ne peux pas vivre sans dénoncer l’injustice qui règne dans mon pays. »
Par crainte des ennuis, certains se montrent toutefois plus prudents. Blogueur spécialisé dans l’ironie antigouvernementale, Sandmonkey s’est ainsi résolu à fermer sa page. Pour des raisons personnelles, explique-t-il sur son site. Mais aussi, sans doute, parce qu’il sait que la Sécurité d’État l’a à l’il. « Face au rouleau compresseur de la répression, on se sent tous découragés à un moment ou à un autre », reconnaît Wael Abbas. D’autant que le mouvement d’opposition Kefaya (« ça suffit ! »), apparu au printemps 2005, n’est plus là pour les soutenir

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