Une femme imam, et alors ?

Publié le 10 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Le 18 mars, dans la cathédrale Saint-John-The-Divine, à New York, transformée pour l’occasion en mosquée, une femme, Amina Wadud, a conduit la prière du vendredi. Pour le monde entier, ce fut un événement. Et pour la plupart des musulmans, une bidaa (« hérésie »).
Militante féministe, Amina Wadud est une Africaine-Américaine. Professeur d’études islamiques à la Virginia Commonwealth University, elle est l’auteur d’un livre remarqué : Le Coran et les femmes : relecture du Texte sacré dans une perspective féminine. Que cette petite révolution ait eu lieu aux États-Unis, où elle a rencontré un assez incroyable écho médiatique, n’étonnera personne. D’autant qu’elle conforte l’insidieuse politique de l’administration Bush visant à faire évoluer les traditions arabo-musulmanes. Reste cette question, incontournable : l’islam interdit-il explicitement à une femme de diriger la prière publique ?
Aucun verset du Coran ne donne la moindre directive à ce sujet, ce qui n’est pas le cas des hadiths (les « dits » du Prophète). Le problème est que ceux-ci se contredisent. Certains chroniqueurs affirment que le Messager d’Allah aurait donné à la Médinoise Um-Waraqah l’ordre de conduire la prière dans son secteur (dar) et l’aurait autorisée à avoir son propre muezzin. D’autres, au contraire, lui attribuent ces mots : « Les femmes ne peuvent pas être imam pour les hommes. » Ces propos sont néanmoins contestés par nombre de théologiens, qui n’ont qu’une confiance limitée dans l’homme qui les a transmis, Abdullah Ibn Muhammad Al-Tamimi, souvent considéré comme un « inventeur de hadiths ». Au IXe siècle après J.-C., Tabari, dans sa célèbre Chronique, confirme la possibilité offerte aux femmes d’être imam. Des obédiences religieuses comme celle des azharites penchent vers la même position, contrairement aux quatre écoles sunnites. En fait, il semble que les seules conditions qui président à la désignation d’un imam n’aient pas trait au sexe, mais : 1. au nombre des fidèles présents ; 2. à l’apprentissage du Coran. Dès le moment où trois croyants se trouvent assemblés en un même lieu, un guide religieux devient nécessaire, ce qui laisse supposer que trois femmes seules voyageant ensemble ont le devoir de choisir parmi elles celle qui se mettra devant pour conduire la prière : d’où le mot « imamat », qui vient justement de « devant ». Ensuite, la foule des fidèles en prière n’étant pas censée connaître le Coran, l’imam a pour tâche de réciter à leur place les sourates appropriées à chaque rakaa génuflexion »). La prière collective est nécessaire pour que le fidèle puisse être sûr d’écouter le vrai Coran. Il n’existe pas d’autres traités de jurisprudence concernant le rituel de l’imamat. L’argument de l’impureté de la femme – commun aux trois religions du Livre – ne tient pas : si la femme est impure, et donc inapte à diriger la prière, comment expliquer qu’elle soit autorisée à prier face à Dieu ?
Quant au hadith affirmant que « les femmes manquent de foi et de raison », qui est censé justifier l’incompétence de celles-ci à guider les musulmans, il serait apocryphe. On le doit apparemment à une chaîne de « transmetteurs » où figure Abou al-Bara’, condamné pour calomnie par le calife Omar. Ce prétendu hadith est en outre contredit par l’éloge coranique de Marie, élue (moustafat) entre toutes les femmes, que le prophète Zacharie surprend un jour devant le mihrab, lieu réservé aux imams.
La séparation hommes-femmes lors de la prière publique ne trouve pas non plus de justification dans les sources. Le Prophète ne confiait-il pas « je priais avec ahli » (famille ou gynécée) ? Mieux, la Mosquée al-Haram, à La Mecque, est un lieu mixte où, depuis toujours, hommes et femmes prennent place sans aucune distinction. Le cantonnement des femmes dans un espace séparé daterait du califat de Mouawiyya, fondateur de la dynastie omeyyade : un jour, après la prière du vendredi, des rumeurs lui seraient parvenues selon lesquelles un fidèle placé derrière une femme en prière se serait vanté de s’être « rincé l’oeil sur sa croupe ». Le calife aurait alors décrété qu’un pavillon séparé sera, à l’avenir, réservé aux dames dans les mosquées.
Enfin, le hadith reposant sur le témoignage d’Abou Bakrah selon lequel « un peuple qui confie ses affaires à une femme va à sa perte » paraît lui aussi contestable. L’exemple de la reine de Sabbat, qui est cité dans le Coran, ou celui de Chagarat al-Durr, qui gouverna l’Égypte au XIIIe siècle, montrent que l’islam peut fort bien s’accommoder d’un pouvoir féminin.
Enfin, et pour en revenir à l’actualité, il est à noter que cette question de l’imamat des femmes qui soulève l’indignation de la majorité des musulmans d’aujourd’hui était abordée sans détours ni anathèmes dans les siècles passés. L’initiative d’Amina Wadud n’est donc pas à proprement parler une première en terre d’islam, et le débat qu’elle provoque paraît à tous égards anachronique.

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