La porte étroite

Publié le 10 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Sans verser dans le triomphalisme le très sobre Thabo Mbeki n’en fait d’ailleurs pas ni donner dans ce scepticisme de mauvais aloi que l’on décèle déjà chez les francophones, l’accord de Pretoria conclu le 6 avril entre les protagonistes ivoiriens mérite qu’on l’évalue à sa juste portée : un pas fragile, mais méritoire, vers la paix. « Beaucoup de
méthode, beaucoup de clairvoyance, beaucoup de modestie, alors que les intervenants précédents nous donnaient surtout des leçons et des directives »: cette appréciation sur le travail du président sud-africain est certes partagée par tous les participants à la réunion de Pretoria, mais il n’est pas indifférent qu’elle ait été formulée par Laurent Gbagbo lui-même. C’est en traitant le président ivoirien avec le « plus » protocolaire dû
à son rang et en lui faisant comprendre que, dans sa solitude, il était, lui, un ami sûr peut-être le dernier que Thabo Mbeki a pu obtenir de Gbagbo quelques concessions non négligeables, tout au moins sur le papier. Plus encore que la menace d’une entrée en vigueur des sanctions personnelles prévues par l’ONU lesquelles ne s’appliqueraient d’ailleurs pas uniquement au «camarade Laurent » et à son entourage, mais aussi à Guillaume Soro et aux chefs des Forces nouvelles , c’est ce mélange d’extrême patience et d’extrême détermination du successeur de Mandela qui a porté ses fruits.
Négocié et signé entre Africains, l’accord de Pretoria s’ouvre sur une « déclaration de fin de guerre » impliquant toutes les parties au niveau de leur direction politique ce qui est nouveau et se poursuit par un schéma de sortie de crise déjà connu et répété depuis plus de deux ans : cantonnement et démobilisation partielle des forces en présence, puis élection présidentielle en octobre prochain. Même s’il n’est pas exclu qu’un délai supplémentaire soit accordé pour cette échéance capitale, le simple fait que les protagonistes maintiennent solennellement le cap dans cette direction n’est pas sans importance bien rares étaient ceux qui, ces derniers temps, y croyaient encore. Qui pourra se porter candidat ? À cette question capitale, qui revient à poser celle de l’abrogation ou du maintien de l’article 35 de la Constitution, les signataires ont choisi de ne pas répondre et de s’en remettre à la décision du médiateur Thabo Mbeki. Lequel rendra sa sentence dans un délai indéterminé une semaine, quinze jours, un mois sous une forme qui pourrait être solennelle : une déclaration commune, à New York ou en terre africaine, avec Kofi Annan et Olusegun Obasanjo. En privé, les parties prenantes à l’accord de Pretoria assurent qu’elles se seraient mises d’accord sur un gel dudit article 35, afin de permettre à chacun (y compris Alassane Ouattara) de se présenter. Une mise entre parenthèses convenue à l’issue d’une sorte de marchandage avec Laurent Gbagbo : ce dernier renonce au référendum auquel il tenait, mais peut toujours assurer qu’il n’a pas cédé sur l’essentiel puisque la Constitution n’est pas modifiée. En outre, le fait que la sentence soit annoncée par le médiateur permettra au président ivoirien de dire qu’il n’a pas pris lui-même cette décision, mais qu’il s’y plie dans l’intérêt de la paix un remake en somme du « médicament amer » de Marcoussis.
Désarmement généralisé à partir de la mi-avril, élection présidentielle six mois plus tard : la voie royale est donc tracée, à l’issue de laquelle l’Afrique du Sud verra singulièrement renforcées ses chances d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, et Thabo Mbeki celles de concourir au prix Nobel de la paix. Reste que le diable réside dans les détails, ou plutôt dans les interprétations d’un accord qui ne fut manifestement
pas conclu entre les arrière-pensées des invités de Thabo Mbeki. De retour à Abidjan, Laurent Gbagbo a ainsi déclaré, à propos de l’éligibilité des candidats, qu’il fallait « donner du temps au temps », ajoutant même qu’il attendait que le médiateur « nous fasse des propositions » – alors que l’article 10 de l’accord parle de « décision ». Autre nuance de taille, à propos cette fois des milices : le président ivoirien n’évoque pas leur démantèlement, mais leur simple désarmement, « si ces milices sont armées ». Or on sait que, pour lui, ses propres milices ne sont pas armées ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait faux puisqu’elles ne le sont que ponctuellement, au besoin en quelque sorte.
Du délicat processus de démobilisation, censé démarrer dès le 14 avril par une réunion mixte des militaires des deux camps à Bouaké, au casse-tête posé par le retour sans cesse différé d’Alassane Ouattara et d’Henri Konan Bédié en Côte d’Ivoire, les possibilités de gripper le timide processus de Pretoria sont au vrai multiples et quotidiennes. Tout dépendra de la volonté politique des protagonistes même si la confiance est loin d’être de mise, ils se sont tout de même longuement parlé pour la première fois depuis longtemps, Gbagbo allant jusqu’à s’enquérir auprès de Ouattara de l’état de sa résidence abidjanaise, pillée et détruite en septembre 2002. Tout dépendra aussi de la capacité de Thabo Mbeki à imposer à tous la seule garantie de paix qui vaille : l’incapacité de se nuire mutuellement.
Signe que les temps ont changé : le « parrain » français était totalement absent des négociations de Pretoria. « Nous n’étions ni présents ni informés de l’avancement des pourparlers, confie à Paris une source proche du dossier, c’était sans doute le prix à payer pour que ça marche, il fallait que tout se déroule entre Africains, et Mbeki ne souhaitait pas nous voir là. Dès l’annonce de l’accord, Jacques Chirac lui a téléphoné pour le féliciter. » Un effacement à demi contraint qui est loin de signifier pour autant
un déficit de concertation entre la France et une Afrique du Sud déterminée à jouer dans la cour des grands. À preuve : fin mars, une discrète mission française mixte Affaires étrangères/Défense était à Pretoria pour des entretiens avec ses partenaires sud-africains.
But : préparer le terrain à l’accord de Pretoria.

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