Jacques Rabemananjara

Publié le 10 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Il est tentant de comparer le parcours de Jacques Rabemananjara, décédé le 2 avril à Paris, à celui de son illustre aîné Léopold Sédar Senghor, qui s’est éteint en décembre 2001, lui aussi en France. Tous deux ont consacré leur (longue) existence à la fois à la littérature et à la politique. Tous deux aussi ont été des chantres de la francophonie. L’un s’est fait le porte-parole de la « négritude », l’autre a exalté la « malgachitude ». Une différence de taille toutefois : si le « poète-président » sénégalais a brillé au pouvoir, le « militant-poète » malgache a surtout été un opposant – et un exilé.
Juste revanche pour ce nationaliste de la première heure, son pays lui a réservé des funérailles nationales. Il reposera à Anjanahary, dans la capitale, non loin d’une autre grande figure du pays, le général Richard Ratsimandrava, assassiné en février 1975 alors qu’il était à la tête de l’État. Jacques Rabemananjara est né en 1913 à Maroantsetra, dans la baie d’Antongil, sur la côte est de la Grande Île. Ses études au petit séminaire de l’île Sainte-Marie puis au grand séminaire d’Antananarivo (Tananarive, à l’époque) auraient pu le conduire à la prêtrise, mais, très vite, la fibre patriotique l’emporte sur la foi religieuse. En 1935-1936, il fait paraître dix numéros de la Revue des jeunes de Madagascar avant que les autorités coloniales n’en interdisent la publication. Déjà se dessinent les rapports complexes qu’il entretiendra avec la métropole.
Il découvre celle-ci en 1939 lorsqu’il est retenu pour faire partie de la délégation malgache aux cérémonies de commémoration du cent cinquantième anniversaire de la Révolution française. Dès son arrivée à Paris, il s’inscrit à la Sorbonne, où il décrochera une licence en lettres classiques. Il est déjà passé dans le monde de la création littéraire puisqu’il publie, en 1940, son premier recueil de poèmes, Sur les marches du soir (Ophrys).
Dans la capitale française, il fait la connaissance de nombreux intellectuels africains ou de la diaspora, parmi lesquels le Martiniquais Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor mais aussi un autre Sénégalais, Alioune Diop, avec qui il participera, au sortir de la guerre, à la création de la revue Présence africaine, qui donnera elle-même naissance à la maison d’édition du même nom.
À l’époque, il se lie également à ses compatriotes Joseph Raseta et Ravoahangy Andrianavalona. Ensemble, ils fondent en 1946 le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM). De retour à Madagascar, Rabemananjara est élu, en novembre de la même année, député de la région de Tamatave (aujourd’hui Toamasina). Il s’apprête à rejoindre Paris pour siéger au Palais-Bourbon lorsque éclate l’insurrection de mars 1947. Accusé d’être l’un des instigateurs du soulèvement, il est arrêté, torturé et condamné à mort. Sa peine commuée, il est incarcéré à Calvi, en Corse, puis à Marseille.
Gracié en 1956, il ne sera autorisé à rentrer dans son pays qu’à l’indépendance, en 1960. C’est lors de ces années d’exil forcé qu’il produira une bonne part de son oeuvre littéraire. Celle-ci s’inscrit à la fois dans le prolongement de son action militante – en particulier Antsa (Présence africaine, 1956), écrit en prison – et dans la quête des origines, comme dans les recueils Rites millénaires (Seghers, 1955), Les Ordalies (Présence africaine, 1972) ou encore Rien qu’encens et filigrane (Présence africaine, 1987).
Rabemananjara revient à la politique avec l’accession de Madagascar à la souveraineté internationale. Appelé au gouvernement par le président Philibert Tsiranana, il occupera notamment les ministères de l’Économie et des Affaires étrangères. Le mouvement populaire de 1972 qui fera tomber la première République et accéder les militaires au pouvoir le surprend au Chili, où il participe à une conférence internationale. Il choisit alors de s’installer à Paris, dont il fera, avec son épouse française, sa résidence définitive.
Il n’interrompra que brièvement son exil, en 1992, pour participer à la présidentielle de 1993, qui verra l’élection d’Albert Zafy. Ayant espéré un moment être le candidat unique des « Forces vives », il se présente pour son propre compte, subissant un cuisant échec, avec moins de 3 % des voix.
Jacques Rabemananjara aura ainsi consacré l’essentiel de ses dernières années à la littérature, abordant même un genre nouveau au soir de sa vie, avec un récit sur Le Prince Razaka (Présence africaine, 1995). Si son oeuvre théâtrale – trois pièces, dont Les Dieux malgaches (Ophrys, 1947) – n’a pas eu le retentissement espéré, il est considéré, avec son aîné Jean-Joseph Rabearivelo, comme le plus grand poète de son pays.

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