Fin de mission

Publié le 10 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Celui qu’un gigantesque raz-de-marée humain de fidèles a porté en terre le 8 avril mérite sans doute autant d’indulgences qu’il en a dispensées pendant un quart de siècle de pontificat. Décédé le 2 avril, à Rome, à l’âge canonique de 85 ans, Jean-Paul II fut tout sauf cette « idole à qui l’on lie les mains et dont on baise les pieds » – définition du pape selon Voltaire. Avec lui, l’Église a pris le risque de la mondialisation, de la communication et d’une certaine transparence, jouant de la difficile alchimie entre l’icône grand-paternelle noyée sous un déluge d’images et la dose de mystère et de sacré indispensable au maintien de son autorité. Avec lui, le catholicisme a (définitivement ?) rompu avec ses démons d’antan, lorsqu’il cautionnait les dictatures, fréquentait le conservatoire des préjugés raciaux et faisait soupirer les créatures accablées. Cet homme, qui fit de sa douleur un spectacle, de son agonie une téléréalité et de ses obsèques un show planétaire était assurément le dernier des géants. Géant de l’ordre moral, de la mise en scène, de la compassion et du prosélytisme – au sens quasi-marketing du terme. Maître de l’imagination et du symbole, grand catalyseur d’angoisses existentielles et patron incontesté d’une institution pour qui chaque époque est une menace, un gant à relever.
Qui succédera à Jean-Paul II ? La signification politique et culturelle de ce choix est, on le voit, considérable, surtout que se pose désormais la question cruciale de savoir si le Sacré Collège choisira un prélat issu du Tiers Monde, là où se joue l’avenir des religions. À cet égard, et même si le mythe du « pape noir » a sans doute encore de longs jours devant lui, l’Afrique, jadis terre de mission, n’est plus en marge des décisions et des orientations. Plus qu’ailleurs, sur ce continent où les croyances n’ont jamais été réduites à la sphère privée et où religion et politique ont partie liée, le Vatican affronte les défis de la modernité. La vague de démocratisation de la fin du XXe siècle a sonné le glas du parti, mais aussi de l’Église uniques. L’offre religieuse est devenue foisonnante et, au supermarché du sacré, la prolifération des sectes aux méthodes de recrutement agressives sonne souvent comme un désaveu pour un clergé à la moralité parfois défaillante et non dénuée de tendresses pour les positions de pouvoir et les plaisirs temporels. Plus qu’ailleurs aussi, l’imbrication entre islam et christianisme se décline, en Afrique, sur le mode d’un affrontement à la fois feutré et dangereux. De part et d’autre, une nouvelle religiosité prend la forme de mouvements fondamentalistes qui s’appuient sur les mêmes ressorts et les mêmes ressentiments – souvent hostiles à cet Occident arrogant où siège le pape. Prédicateurs malins et illuminés contre mahdis zélateurs de la charia : le filet de sécurité spirituel fourni par les grandes religions cadrées et construites est de plus en plus lâche.
Certes, le devenir du catholicisme ne se joue pas uniquement en Afrique, mais c’est sans doute sur ce continent, où la concurrence des croyances est particulièrement vive, que le rôle culturel de l’Église, comme antidote aux dérives sectaires et aux barbaries sacrées, est le plus important. Sur ce chapitre, Jean-Paul II a beaucoup oeuvré, souvent réussi, mais parfois failli – au Rwanda, notamment, où l’Église catholique a incontestablement péché, ne serait-ce que par passivité, lors du dernier génocide du XXe siècle. Il faudra donc à son successeur beaucoup de foi, d’ouverture et de tolérance pour faire entendre son message. L’avenir appartient à l’Église qui aura les portes les plus larges…

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