Bahia Hariri : « Il faut d’abord que justice soit faite »

Publié le 10 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous estimez que le départ des Syriens du Liban « n’est pas un adieu, mais un au revoir ». Un propos beaucoup plus modéré que certains slogans entendus lors des manifestations de l’opposition. Quels pourraient être, selon vous, les termes d’une nouvelle relation entre les deux pays ?
Bahia Hariri : La responsabilité qui est la mienne aujourd’hui exige l’objectivité. Bien sûr, des erreurs ont été commises dans le cadre des relations libano-syriennes, mais l’histoire et la géographie des deux pays sont deux facteurs qui priment toute autre considération. Rafic Hariri a d’ailleurs toujours voulu maintenir les meilleures relations possibles avec Damas – ainsi qu’entre le Liban et le reste du monde. Des relations fondées sur le respect mutuel et la souveraineté de chaque peuple sur sa propre terre. C’est en suivant son exemple que j’ai prononcé ces paroles.
J.A.I. : Quel rôle le Liban peut-il tenir, à l’avenir, dans la région ? Celui d’intermédiaire avec les pays occidentaux ou celui de modèle politique pour les pays arabes ?
B.H. : J’aspire à voir l’émergence de communautés arabes libres et modernes, ne craignant ni la croissance ni le développement. Ces communautés devront être fondées sur la justice et l’égalité. Elles devront promouvoir la démocratie et le respect des droits de l’homme. Mais, bien sûr, dans le respect de notre identité arabe.
J.A.I. : Assiste-t-on à l’apparition d’une vraie conscience nationale libanaise qui transcende les clivages confessionnels ?
B.H. : L’unité nationale n’a jamais été aussi éclatante qu’aujourd’hui. Cette unité se manifeste par le regroupement de tout le peuple libanais autour du mausolée du martyr Rafic Hariri. Et par son désir de connaître la vérité, toute la vérité. Enfin, les Libanais veulent poursuivre l’oeuvre prioritaire de mon frère, qui est la reconstruction du pays. Il faut bien comprendre que la citoyenneté libanaise est peut-être celle qui, dans le monde entier, a été la plus chèrement acquise. Depuis trente ans, le Liban paie le prix du sang pour parvenir à son union nationale. Il a connu la discorde, la destruction, l’occupation et l’amertume. Son peuple se fait entendre aujourd’hui pour réclamer le châtiment des criminels qui ont tenté de briser son union. Il crie aussi son attachement à un Liban souverain, libre et indépendant.
J.A.I. : Beaucoup vous attribuent aujourd’hui la carrure d’une femme d’État. Walid Joumblatt a même annoncé [le 27 février] qu’il soutiendrait votre éventuelle nomination à la tête du gouvernement. Dans cette hypothèse, quelles seraient vos ambitions ?
B.H. : Mon ambition est d’abord de découvrir qui a tué Rafic Hariri et de le voir condamné. Au-delà, elle est de prolonger l’élan de la reconstruction et de contribuer au redressement du pays. Cette mission n’est pas individuelle, elle n’est pas attachée à un poste particulier, fût-il celui de Premier ministre : c’est la mission de tous les Libanais, le défi qui leur est lancé. Mais, avant tout, il faut rétablir la sécurité sur le territoire libanais. Et faire en sorte que justice soit faite.
J.A.I. : Pour en finir avec la corruption et le régime policier mis en place par l’occupant, pensez-vous qu’un renouvellement du personnel politique soit indispensable ? Et quelle devrait être, dans ce cadre, la place des femmes ?
B.H. : Le renouvellement de la vie politique est nécessaire. Ce sont les ennemis de ce renouvellement qui ont provoqué le chaos, mais aussi le retard économique et politique du Liban. Une démocratie parlementaire doit périodiquement se renouveler, sans quoi elle se sclérose. Notre système politique nous y autorise et nous avons bien l’intention d’y contribuer. Mais il nous faut aussi veiller à ce que les élections prochaines aient lieu dans les temps, et qu’elles soient libres et transparentes ! Pour ce qui est du rôle des femmes en politique, je ne crois pas que le sexe soit un critère pertinent… Seule la compétence doit être prise en compte.
J.A.I. : Vous êtes favorable à l’application pleine et entière des accords de Taëf, qui prévoient le désarmement de toutes les milices libanaises, Hezbollah compris. Quelle est selon vous la bonne méthode pour y parvenir ?
B.H. : L’application des accords de Taëf est essentielle. Elle doit être totale et ne pas comporter d’exception. Car ces accords sont l’expression d’un consensus national qui a clos l’épisode de la guerre civile. Ils sont sacrés, en ce sens qu’ils sont le symbole de la souveraineté retrouvée du Liban.
En ce qui concerne la résistance islamique, le Hezbollah n’est pas une milice : ses armes n’ont jamais été utilisées contre les Libanais, seulement contre l’envahisseur [israélien]. De plus, Cheikh Hassan Nasrallah, son secrétaire général, s’est déclaré ouvert au dialogue. Enfin, il me semble qu’il s’agit d’une affaire strictement libanaise. Or les Libanais sont tout à fait capables de se mettre d’accord, comme ils l’ont déjà prouvé dans le passé.
J.A.I. : Joumblatt est favorable au retour de Michel Aoun [le général chrétien maronite exilé en France depuis 1990]. Et vous ?
B.H. : Son retour au pays est nécessaire, bien sûr. Nous avons rompu avec le règne de la ruse et de l’État policier. Il nous faut maintenant reprendre le cours naturel de la vie politique.

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