Un Nobel très conventionnel

Publié le 9 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Comme en 1985 et en 1995, pour les 40e et 50e anniversaires du bombardement de Hiroshima et Nagasaki, le comité du prix Nobel de la paix a décidé de distinguer, en cette année du 60e anniversaire, le combat antinucléaire. En attribuant la plus prestigieuse des récompenses internationales à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et à son directeur, l’Égyptien Mohamed el-Baradei, 63 ans.
Baradei et l’AIEA étaient donnés favoris, même si d’autres noms circulaient : ceux des représentants des victimes japonaises de 1945, ceux des sénateurs américains Richard Lugar et Sam Nunn, artisans de l’accord de démantèlement de l’arsenal nucléaire de Moscou dans les ex-républiques soviétiques d’Ukraine, de Biélorussie et du Kazakhstan, ou encore celui de Martii Ahtisaari, ancien président finlandais, médiateur dans de nombreux conflits. Bono, le chanteur du groupe irlandais U2, rock-star planétaire très engagée, aux côtés de Bob Geldof, dans la lutte contre la pauvreté et l’aide à l’Afrique, a longtemps fait figure d’outsider. Mais, contrairement à 2003 et 2004, où il avait fait montre d’audace en couronnant l’avocate iranienne Shirin Ebadi et l’écologiste kényane Wangari Maathai, le jury d’Oslo a donc opté cette année pour un choix très… conventionnel.
Troisième lauréat égyptien du Nobel, après Anouar el-Sadate (1977) et Naguib Mahfouz (Littérature, 1988), le patron de l’AIEA est avant tout un loyal serviteur de la légalité internationale. Et il y a peu de chances que sa consécration suscite beaucoup d’émotion dans son pays natal et dans le monde arabe. Ce docteur en droit, issu de la haute bourgeoisie cairote, a représenté son pays à New York puis à Genève, avant de rejoindre l’agence de Vienne en 1984, qu’il préside depuis 1997. Grâce aux Américains, qui ont longtemps été ses plus fidèles soutiens, avant qu’il ne devienne leur bête noire en déclarant devant le Conseil de sécurité, en février 2003, que ses inspecteurs n’avaient pas décelé la moindre trace d’armes de destruction massive en Irak. C’est en s’émancipant, avec son alter ego Hans Blix, le chef des inspecteurs de l’ONU en Irak, de la pesante tutelle de Washington, que Baradei a gagné ses galons d’opposant intelligent à la guerre préventive.

Diplomate jusqu’au bout des ongles, ce passionné de musique classique excelle dans l’art de refouler ses sentiments et de policer son discours : il n’a jamais été pris en flagrant délit de diatribe anti-israélienne. Alors que l’État hébreu, où il a effectué une visite infructueuse, à la mi-2004, possède, en toute illégalité, deux cents têtes nucléaires et refuse obstinément toute visite de ses sites sensibles.
Partisan de la négociation avec l’Iran, opposé à toute initiative susceptible de favoriser un engrenage guerrier – comme celle de déférer le dossier de Téhéran devant le Conseil de sécurité – Baradei a été au centre d’un bras de fer entre les États-Unis et le reste du monde entre janvier et juin 2005. Washington s’est longtemps opposé à sa reconduction pour un troisième mandat de quatre ans à la tête de l’agence, avant de céder. En le récompensant, lui et l’organisation qu’il incarne, le comité Nobel a voulu appuyer le combat contre la prolifération nucléaire. Tout en rappelant que celui-ci devait être mené de façon pacifique et multilatérale, en privilégiant la logique des inspections à celle des frappes préventives. C’est une pierre de plus dans le jardin des néoconservateurs américains.

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