En attendant le grand soir

À six mois de la prochaine présidentielle, le pays semble déjà en campagne électorale anticipée.

Publié le 9 octobre 2005 Lecture : 6 minutes.

Les affiches électorales ne défigurent pas encore le paysage de Cotonou. Mais à six mois de la présidentielle de mars, la campagne semble déjà lancée. Elle mobilise la classe politique, nourrit les conversations, occupe la presse locale. Relègue au second plan le chiffre record de la production cotonnière pour la campagne 2005 en cours : 426 000 tonnes contre 330 000 tonnes la saison dernière. Et ni les difficultés de la filière ni ses déficits structurels n’y changent rien. Les esprits sont ailleurs, tournés vers ce scrutin qui marque un tournant. Le président Mathieu Kérékou, alias le Caméléon, comme l’appellent ses compatriotes, et l’ex-chef de l’État et aujourd’hui maire de Cotonou, Nicéphore Soglo, ne sont pas de la course. Les deux hommes, qui ont polarisé la vie politique du pays, s’effacent, frappés par la limite d’âge. Avec eux se retire toute la génération des derniers témoins de l’indépendance. À une nouvelle génération de négocier le virage et de s’installer à son tour. Elle n’est pas sans atouts. Certains de ses membres disposent de repères dans les arcanes du pouvoir pour en avoir détenu une parcelle.
La compétition, qui s’annonce d’ores et déjà indécise, promet d’être la confrontation la plus ouverte au Bénin depuis la première présidentielle pluraliste et démocratique de 1991. Un an à peine après la première conférence nationale souveraine organisée sur le continent. D’un côté, les « expérimentés » : Adrien Houngbédji, ancien Premier ministre et actuel chef de file du Parti du renouveau démocratique (PRD) ; Bruno Amoussou, le champion du Parti social-démocrate (PSD), ancien président de l’Assemblée nationale et ex-ministre d’État ; Me Marie-Élise Gbédo, de l’Association des femmes juristes du Bénin (AFJB), ex-ministre du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, en course pour la deuxième fois…
De l’autre, les « nouveaux » ou estampillés tels : Yayi Boni, le patron de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) ; Richard Sénou, fonctionnaire à la Banque mondiale ; Léhady Soglo, fils de l’ex-président, premier adjoint au maire de Cotonou et porte-drapeau de la Renaissance du Bénin (RB) ; Antoine Idji Kolawolé, président de l’Assemblée nationale et candidat du Mouvement africain pour la démocratie et le progrès (Madep) ; Rafiou Toukourou, président du Conseil économique et social ; ou encore Pierre Osho, le fidèle ministre de la Défense qui n’est pas assuré du soutien de son mentor, Kérékou. Ce dernier, qui répète à l’envi que « la branche ne se cassera pas sous les bras du Caméléon » – en clair qu’il n’entend pas s’immiscer dans la campagne électorale -, s’en tiendra sans doute à cette posture de sage, source de sa décision de ne pas toucher à la Constitution pour solliciter le renouvellement de son mandat…
Tous les candidats potentiels – les journaux de la place en recensent au moins une vingtaine – ne se sont pas encore officiellement déclarés. Mais pour la première fois, Houngbédji et Amoussou, entre autres habitués de la course au Palais de la Marina, pourraient bien être obligés de jouer des coudes pour écarter de moindres pointures. En attendant, c’est un peu la confusion. On se rend visite en toute discrétion, on se téléphone, on organise des rencontres entre seconds couteaux, on se fait une cour assidue ou, à défaut, on suscite des candidatures pour fragiliser l’adversaire. Une bagarre sourde, parfois rude, et des palabres sans fin notamment à l’occasion de la longue et chaotique mise en place de la Commission électorale nationale autonome (Cena), qui compte vingt-cinq membres. La nomination de ces derniers et l’installation du bureau ont été émaillées de chicaneries et d’empoignades à n’en plus finir. Et ce qui s’y est passé traduit relativement bien l’ambiance préélectorale. Les multiples velléités de candidatures n’y sont pas étrangères, qui cherchent à exister politiquement de crainte de disparaître de la mémoire politique des populations et, surtout, d’être absent à l’heure du partage. La volonté des prétendants de taille, non plus, qui n’entendent pas se laisser marcher sur les pieds.
Résultat : grenouillages d’état-major, dissensions internes et accords secrets scellés à force de propositions de maroquins ou de fauteuils de direction. À croire qu’avant l’échéance de mars, des primaires généralisées sont organisées non au sein d’une même formation, mais entre partis. Il s’agit de négocier dès aujourd’hui ce qui, d’ordinaire, ne l’est qu’entre les deux tours : le soutien de tel pour éviter d’être victime d’une trop forte déperdition de voix et rester en lice au second tour. Sans doute parce que, paradoxalement, ce pays, qui fait figure d’exemple en matière de culture démocratique, n’est pas encore – loin s’en faut – complètement débarrassé du vote régionaliste. Les principales écuries politiques, qui rêvent du grand soir, sont obligées d’en tenir compte pour se mettre à l’abri des mauvaises surprises, en particulier l’éparpillement des voix.
Sur ce registre de la dispersion des suffrages, calculs et supputations vont bon train. Tel candidat, originaire d’une région très peu peuplée, sera handicapé. Tel autre, qui a vu naître des adversaires dans son fief, peut perdre une partie de son capital électoral. Mais cela n’a pas l’air de troubler outre un Adrien Houngbédji persuadé que « les leaders de stature nationale émergeront ». Même s’ils sont secoués ou passablement amoindris. Le patron du PRD n’en tire pas moins l’enseignement que « le pays ne peut être et ne doit être gouverné que dans le consensus ». On n’en est pas encore là. L’heure est aux pronostics, avec, dans le désordre, ce quarté à l’issue du premier tour : Adrien Houngbédji, Bruno Amoussou, Léhady Soglo et Yayi Boni – le seul à n’appartenir à aucun parti. Kérékou et Soglo n’étant pas en lice cette fois, l’ordre d’arrivée et la hiérarchie de la précédente présidentielle sont respectés. Celle-ci avait vu Houngbédji en troisième position, derrière les deux intouchables, et Amoussou quatrième.
Parmi ces quatre noms qui reviennent dans les pronostics, celui de Yayi Boni est donné présent au second tour. Mais face à qui ? Houngbédji, Amoussou, Soglo ou un autre dernier larron ? La cote de popularité de Boni grimpe de jour en jour. Et il n’est pas sans moyens, ni sans soutiens – notamment auprès de certains chefs d’État de la sous-région. Pour beaucoup de ses compatriotes, et contrairement à certains de ses adversaires, il est également l’homme de la rupture, celui qui n’est pas comptable de la gestion du pays au cours de ces quinze dernières années. Celui qui a mis à profit son séjour à la BOAD pour aider le pays et s’est toujours débrouillé pour qu’on le voie derrière chaque projet réalisé. Mais le banquier originaire du Centre-Nord, non encarté, qui cherche à fédérer une bonne partie des formations du Nord (d’où est issue sa mère), pourrait souffrir du manque d’une machine à sa disposition, susceptible d’occuper le terrain et de battre campagne pour lui. Pourra-t-il compter sur la RB de Léhady Soglo – si, bien sûr, ce dernier venait à être écarté du second tour ? En tout cas, on l’en dit proche pour avoir été l’un des conseillers économiques de l’ancien président Soglo qui l’aurait aidé à accéder à la tête de la BOAD. Parviendra-t-il à faire ticket avec l’un de ses principaux adversaires ? Alors que lui, non plus, ne s’est pas encore officiellement porté candidat, plus personne ne le prend pour « l’intrus qui se fourvoie en politique ». Surtout pas les « grosses pointures », qui ne veulent négliger rien, ni personne pour signer un bail de cinq ans au Palais de la Marina.

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