Vacances éternelles
« C’est la fin de l’été ! » a cru bon de me rappeler un collègue resté à Paris. « C’est malin ! » ai-je pensé sans mot dire. « Il va falloir rentrer, ranger ses valises, montrer son nez aux premières réunions de parents d’élèves, payer son tiers provisionnel, reprendre le bon et droit chemin, qui consiste à beaucoup bosser et peu dépenser. »
Je l’ai écouté calmement, puis j’ai répondu, allongée sur la plage, les vagues venant mourir à mes pieds, j’ai répondu que je ne voulais pas de ce sadique rappel à l’ordre, que je n’arrivais pas à décoller de mon pays, la Tunisie, où je coulais un début de septembre tranquille, que je ne voulais pas rentrer chez moi, pardon, chez lui, en France. Paris est sombre, les Parisiens c’est pire, je préfère Hammamet, qui sent bon « le musc de la nuit » – ce n’est pas une trouvaille stylistique, mais le nom d’une plante, ai-je précisé -, une ville qui donne l’impression d’être en vacances éternelles, d’où je fais un pied de nez aux bosseurs du monde entier.
Écoute le joyeux concert des klaxons, ai-je ajouté, les touristes algériens sont encore là, ils arrêtent leurs voitures au milieu de la chaussée et en sortent pour danser, ils sont dans la vie. À deux pas, j’ai continué, les filles promènent leur silhouette en maillot griffé devant l’hôtel Sindbad, exhibent sans complexe des poitrines refaites et ne prennent même pas la peine de mettre un pied dans l’eau, ça abîmerait leur permanente. Mais ne crois pas que toutes les Tunisiennes sont comme ça, ai-je corrigé, je connais des plages où les dames nagent dans la clandestinité, de 6 heures à 8 heures du matin, couvertes de la tête au pied. C’est ça, l’amour de la mer, y aller, fût-ce voilées !
Je voulais revenir à Hammamet, ses boîtes de nuit, ses cottages et ses nouvelles médinas, mais j’ai dû écourter, en voyant ma belle-sur arriver. Elle avait dû saisir quelques mots de ma conversation téléphonique, car elle a lancé que le ramadan arrive à grands pas, qu’il y a aussi une rentrée scolaire en Tunisie, au cas où certains l’oublieraient, des travailleurs qui vont trimer toute la journée, des parents qui ont des cartables à acheter.
Je m’apprêtais à m’excuser lorsqu’elle s’est ravisée, concédant que, c’est vrai, les soirées du ramadan, ce sera encore mieux que celles qu’on vient de passer, et puis il y aura l’Aïd, le petit, ensuite le grand, avant l’Aïd des chrétiens, fin décembre, le temps sera toujours clément, les festivals reprendront, on ne sera jamais à court de chikhat : Farhat Tounis (« la joie de la Tunisie ») est continuelle, Dieu soit loué ! Exactement ce que je laissais entendre au Parisien frissonnant sous les premières rigueurs de son automne natal.
Une fois seule, j’ai décroché le téléphone, cette fois pour appeler mon patron. Je voulais négocier une correspondance éternelle à Tunis, le boulot ne sera jamais le boulot, le temps sera de l’argent, j’échapperai aux mines pâles, aux visages à rictus et je me la coulerai douce toute l’année.
Vous m’avez crue ? C’est que vous êtes déjà happé par la rentrée et victime du sérieux de vos villes du Nord. Alors qu’ici, à Hammamet, tout le monde sait qu’il ne faut jamais prendre personne au mot. Trop fatigant, le sérieux !
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