Pour quelques dollars de plus
Si les acteurs économiques continuent à préférer le billet vert, la Banque centrale pourrait perdre le contrôle de la situation.
Au cours des cinq dernières années, la dollarisation de l’économie s’est considérablement accrue. La dépréciation continue du franc guinéen, qui est indexé au dollar, la forte inflation ainsi que l’instabilité politique et sociale du pays, en sont les causes principales. En janvier 2007, les dépôts en devises des huit banques du pays étaient évalués à 33,6 % de la masse monétaire, en hausse de plus de 130 % par rapport à 2003. Déjà, en 2005, le montant des dépôts avait été multiplié par quatre par rapport à l’année précédente.
En Guinée, comme l’ouverture d’un compte bancaire en devises est libre, aussi bien pour un résident que pour un étranger, il est possible de retirer des dollars pour financer l’importation de marchandises ou de les échanger contre des francs guinéens (FG). Interdite en théorie, cette pratique, très courante dans le pays, alimente ainsi la circulation de devises en dehors de la Banque centrale. À la nomination du gouvernement de Lansana Kouyaté, en février dernier, 80 % des devises se trouvaient dans le secteur informel. Les quelques banques de la place qui continuent de s’approvisionner en dollars s’en procurent auprès des filiales de grandes multinationales, leurs plus gros clients.
Contre toute attente, le franc guinéen s’est apprécié de plus de 30 % par rapport au dollar au cours des quatre premiers mois de l’année. En janvier, 1 dollar s’échangeait contre 5 685 FG. En février, le taux de change officiel indiquait un franc guinéen plus fort de 6 % par rapport au mois précédent. Une appréciation confirmée en mars avec une hausse de 5 % par rapport à février et de 1 % en avril par rapport à mars. La tendance s’est étendue au marché parallèle avec, en février, un franc guinéen renchéri de 12 % par rapport au mois précédent. La hausse s’est poursuivie en mars (+ 4 %) et en avril (+ 3 %).
Ce phénomène s’explique de plusieurs façons. Les événements politiques des mois de janvier et février ont incité les particuliers, tout comme les grands opérateurs économiques, à thésauriser du FG. Lequel s’est fait de plus en plus rare malgré une forte demande sur le marché. Parallèlement, l’inflation est restée soutenue, et ce malgré l’interdiction, décrétée par le gouvernement Kouyaté, d’exporter certains produits agricoles. La mesure a eu un impact particulièrement important pour les grands importateurs de riz, qui n’ont pu réexporter leurs marchandises dans la sous-région. Les commerçants guinéens qui avaient l’habitude de financer l’achat de riz en dollars, pour le revendre dans les pays voisins où la monnaie, le franc CFA, est beaucoup plus forte que le FG, ont donc été contraints de cesser cette activité.
L’interruption de leur approvisionnement en dollars a engendré un afflux du billet vert sur le marché parallèle, contribuant ainsi à baisser son cours. Le même phénomène a été constaté avec la Banque centrale qui a, elle aussi, cessé de s’approvisionner en dollars pour les besoins de l’État sur le marché parallèle depuis la nomination du gouvernement. Face aux troubles qu’a connus le pays au début de l’année, les Guinéens fortunés se sont rués sur le marché parallèle pour acheter des dollars et ainsi sécuriser leur épargne. Ce qui a précipité la dépréciation du billet vert par rapport au FG.
Si elle se confirme dans la durée, l’appréciation de la monnaie nationale constitue une bonne nouvelle pour la marche de l’économie guinéenne. Car la préférence accordée au billet vert, aussi bien par les particuliers que par les agents économiques, n’est pas sans conséquence. Particulièrement convoité, le dollar se raréfie à la fois sur le marché officiel et sur le marché parallèle et voit son cours s’envoler. À la moindre baisse, les banques se précipitent sur les dollars pour les stocker jusqu’à ce qu’elles aient l’occasion de les revendre à un meilleur taux. Mais spéculer sur le cours du dollar n’a jamais été la stratégie dominante des établissements bancaires installés en Guinée. La vente directe de dollars aux clients ou les commissions prélevées sur chaque transfert d’argent, par exemple, peuvent garantir une marge bien plus confortable.
En définitive, miser sur un dollar fort sur une longue période tout en gardant à l’esprit que l’État puisse effectuer de grosses transactions commerciales dans la monnaie américaine représente un gros risque. L’achat du pétrole en est le meilleur exemple. Les trois établissements bancaires contribuant à financer l’importation du pétrole en Guinée ont besoin d’un gros volume de dollars qu’ils achètent à un taux suffisamment bas pour pouvoir les revendre à un taux raisonnable. Tout en dégageant une marge. Si le cours du billet vert est trop élevé, l’État paie la différence aux pétroliers comme il s’y est engagé. Une promesse qui lui coûte des milliers de dollars et qui l’oblige à augmenter le prix du carburant à la pompe. Au grand dam des Guinéens qui, pour la majorité d’entre eux, vivent avec moins de 1 dollar par jour.
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