Suzanne Daher et la chocolaterie abidjanaise

Pistache, koutoukou, whisky… Avec ses spécialités 100 % locales et plus de 140 parfums, la Maison du chocolat ivoirien a totalement envoûté les palais abidjanais.

Publié le 22 février 2013 Lecture : 3 minutes.

« Hippolyte ! Prends la commande de la dame ! » Suzanne Daher est un maître chocolatier de choc. Et lorsqu’elle reçoit dans sa Maison du chocolat ivoirien, elle a toujours un oeil – et même souvent les deux – sur ses employés. Tel un radar, elle veille en silence, puis lance tout à coup : « Dépêche-toi de servir la dame-là ! Tu es en retard ! » Et le serveur de s’exécuter, un peu confus. Impétueuse, passionnée, perfectionniste : tout chez cette artisane du chocolat est une affaire de caractère.

Féerique

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Il y a d’abord sa boutique, féerique, où une dizaine de petites mains s’affairent quotidiennement. Vendeuses, emballeuses, apprenties… L’équipe, une trentaine de personnes, est quasi exclusivement féminine. « Les femmes sont plus tenaces. Ce sont des battantes ! » affirme Suzanne Daher. Sur les rayons, plus de 140 parfums différents se côtoient : du traditionnel chocolat noir aux plus originaux, à base de whisky, koutoukou (un alcool traditionnel), coco-pistache, café ou flocons de maïs. Autre spécialité : le kamasutra, un chocolat (très) chaud au… gingembre. « Tout est fait maison, sans produits conservateurs ni arômes artificiels », tient à préciser la maîtresse des lieux. Il y en a pour tous les goûts. Et de toute façon, « neuf personnes sur dix aiment le chocolat… la dixième ment ! » sourit-elle, citant l’artiste américain John G. Tullius.

Dans le salon de thé attenant qu’elle a imaginé, tout est de bois blanc. « J’ai voulu que le salon, comme le chocolat, qui est un formidable antidépresseur, apporte une sensation de quiétude », explique Suzanne Daher. Impossible d’échapper aux grandes cloches de verre recelant les célèbres cookies qui font aussi la réputation de Suzanne dans tout Abidjan. Le mobilier XVIIIe siècle et les photos en noir et blanc qui ornent les murs finissent de donner au lieu un charme délicieusement suranné.

Parmi les si délicieux plaisirs proposés, le kamasutra, un chocolat (très) chaud au gimgembre.

Quadra hyperactive, mère de deux filles, Suzanne Daher n’a pas toujours été dans le chocolat. Professeure de français, elle a décidé un jour de tout plaquer pour se reconvertir. « À la trentaine, j’ai pris un virage de dingue ! » s’exclame-t-elle. Elle a commencé par prendre des cours sur le chocolat à Bruxelles, puis à Beyrouth. Une fois rentrée en Côte d’Ivoire, c’est dans sa propre cuisine qu’elle se lance et commence à travailler durant de longues heures de la masse de cacao.

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Parallèlement, elle rencontre des planteurs de cacao pour comprendre l’intégralité de la filière. « Beaucoup de planteurs connaissent la valeur de leurs fèves mais ne savent rien du processus de transformation pour obtenir du chocolat, constate-t-elle. C’est quelque chose qui m’a bouleversée et m’a donné une rage intérieure. Je ne trouvais pas normal que le premier pays producteur de cacao n’ait pas de véritable production de chocolat ! » Elle travaille d’ailleurs désormais avec beaucoup de producteurs et s’évertue à rappeler leur importance pour le pays. « À qui la Côte d’Ivoire doit-elle en grande partie sa notoriété ? Qui l’a fait exister ? Les planteurs de cacao ! »

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En 2006, poussée par un ami, elle ouvre enfin sa chocolaterie, qui produit désormais près de huit tonnes de chocolat par an. S’impliquant à chaque étape de la fabrication, Suzanne Daher choisit elle-même ses fèves et, en véritable artiste, crée de nouveaux parfums, innove sur les formes. Si, la première année, la clientèle a été majoritairement étrangère, elle est dorénavant à 80 % ivoirienne. Le fruit d’un long travail de « conversion » des consommateurs locaux au chocolat made in Côte d’Ivoire. Une fierté pour Suzanne Daher : « Il a fallu faire accepter aux gens qu’ils pouvaient acheter du chocolat ivoirien, leur montrer qu’il y avait ici un véritable savoir-faire. »

Dimension

Pourtant, cette terre d’Éburnie qu’elle aime tant ne l’a pas toujours épargnée. En 2011, lors de la crise postélectorale, son magasin a été pillé et presque réduit à néant. Émue, elle se souvient : « Nous avons redémarré vingt jours après. Pour la reconstruction, les gens étaient en rang pour nous donner de l’argent. C’était extraordinaire ! » Afin de donner une autre dimension à sa maison, Suzanne Daher prépare l’ouverture d’un atelier de 800 m2 pour y offrir un service de formation et exposer l’histoire des planteurs de cacao. « Nous sommes à un tournant. Nous allons faire de grandes choses ! » espère-t-elle. Avant d’ouvrir peut-être, un jour, comme elle en rêve, des succursales à l’étranger, au Ghana, en France ou encore aux États-Unis.

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