Sida : un tournant dangereux

Publié le 9 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

La lutte contre le VIH-sida est à un tournant. Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, on dispose des moyens nécessaires pour stopper l’épidémie. Mais, pour y arriver, il faudra une stratégie à long terme et une volonté sans faille des organisations internationales et des différents pays, car il existe désormais une extrême diversité à la fois dans les progrès de la maladie, l’accès au traitement et l’utilisation des moyens de lutte. C’est la conclusion du « Rapport 2006 » de l’Onusida présenté lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, car il est désormais acquis que l’épidémie de VIH-sida est une menace planétaire.

L’état des lieux
Selon le rapport, 38,6 millions de personnes dans le monde vivaient avec le VIH à la fin de 2005, 4,1 millions ont été contaminées cette année-là et 2,8 millions en sont mortes. Globalement, le taux d’incidence du VIH (la proportion de personnes infectées) a atteint un pic à la fin des années 1990 et s’est stabilisé depuis. Néanmoins, le nombre de personnes vivant avec le VIH a continué d’augmenter, du fait de l’accroissement de la population et du prolongement de la vie des séropositifs grâce à la thérapie antirétrovirale.

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L’Afrique reste l’épicentre de la pandémie. Il n’y a aucun signe de recul en Afrique du Sud, qui est l’un des pays les plus touchés du monde, avec 5,5 millions de séropositifs sur une population de quelque 40 millions d’habitants, et 18,8 % de la population adulte (15-49 ans) vivant avec le VIH. La situation n’est pas meilleure dans les pays voisins, avec une prévalence moyenne de 33,4 % au Swaziland, de 24,1 % au Botswana et de 23,2 % au Lesotho.
Il y avait en Asie, à la fin de 2005, 8,3 millions ?de personnes vivant avec le VIH, dont les deux ?tiers en Inde, et environ 650 000 en Chine.
Les deux pays les plus touchés en Europe de l’Est et en Asie centrale sont l’Ukraine et la Fédération de Russie.

Les moyens de lutte
Le tableau ci-contre rappelle les engagements pris dans la Déclaration de 2001 et fait un bilan des résultats obtenus.
– Grâce à la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en décembre 2002, au soutien de la Banque mondiale et au Plan d’aide d’urgence du président des États-Unis (le President’s Emergency Program for Aids Relief, ou Pepfar), 8,3 milliards de dollars ont pu être consacrés à la lutte contre le sida. Mais pour mener à bien la « lutte stratégique à long terme » souhaitée par Peter Piot, le directeur exécutif de l’Onusida, il faudrait porter le financement à 20 milliards de dollars en 2010. Y arrivera-t-on ? Ainsi, les ressources jugées nécessaires en 2007 sont de 18,1 milliards de dollars, mais on n’est assuré pour l’instant que de 10 milliards.
– L’idéal pour vaincre le sida serait évidemment de disposer d’un vaccin. Pour beaucoup, c’est un rêve lointain. Mais Seth Berkley, président de l’International Aids Vaccine Initiative, à New York, estime dans le Financial Times, qu’il y a de bonnes raisons scientifiques de croire à l’émergence d’un vaccin efficace : il en existe, par exemple, qui protègent les singes du SIV, version simienne du VIH. En France, le directeur général de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), Jean-François Delfraissy, confirme dans Le Monde : « Oui, nous disposerons un jour d’un tel vaccin. » Il précise : « En France, nous travaillons sur un prototype de vaccin et nous attendons pour le dernier trimestre 2007 les résultats d’une étude destinée à savoir s’il provoque une réponse cellulaire contre le VIH. »
– En attendant, il faut utiliser au mieux les moyens qui existent. « La grande leçon de ces deux dernières années, explique au Financial Times Richard Feachem, le patron du Fonds mondial, c’est qu’on doit faire jouer à la fois la prévention, le dépistage et le traitement, tous les trois, à fond. »

Il est prouvé que l’espoir d’un traitement facilite le dépistage. Mais la prévention, c’est d’abord et avant tout l’usage du préservatif, et l’on se heurte, là, aux interdits religieux ou moraux. Le Vatican a fait savoir récemment qu’il s’interrogeait sur la possibilité, dans certains cas, d’accepter l’usage du préservatif, mais l’aide financière accordée par le Pepfar du président George W. Bush n’admet que l’abstinence et la fidélité.
La conséquence est visible en Ouganda, pays donné jadis en exemple par l’Onusida. Sous l’influence de la première dame, Janet Museveni, « born-again Christian », autrement dit évangéliste, on ne recommande plus à la population l’usage du préservatif. Selon The Independent, Janet Museveni affirme même publiquement qu’utiliser un préservatif c’est aussi grave qu’un vol ou qu’un meurtre, et que le sida est la punition que Dieu inflige pour un comportement immoral. Résultat : 130 000 contaminations en 2005 contre 70 000 en 2002.
– Dans la dernière des onze pages que Newsweek consacrait récemment à Peter Piot et à la lutte contre le VIH-sida, Melinda Gates, coprésidente de la fondation Gates, insistait sur la vulnérabilité particulière des femmes, notamment africaines. Non seulement elles sont biologiquement plus exposées, mais, très souvent, elles ne décident pas elles-mêmes de leurs relations sexuelles et sont dans l’impossibilité d’exiger de leur partenaire qu’il mette un préservatif. Mais « le plus grave, dit Melinda Gates, est qu’elles n’ont pas les moyens de se protéger elles-mêmes ». La fondation Bill et Melinda Gates encourage donc la recherche, tout particulièrement sur les gels microbicides, et fera le maximum pour que « les progrès scientifiques soient accessibles à ceux qui en ont besoin ». D’ores et déjà, le Conseil de la recherche médicale (MRC) du Royaume-Uni a entrepris de tester un gel anti-VIH. D’ici à décembre, plus de 10 000 femmes africaines, recrutées notamment en Afrique du Sud et en Ouganda, devraient participer à un essai clinique.
– Malgré cette mobilisation de l’opinion et même si Peter Piot estime que « l’année 2005 a été la moins mauvaise de l’histoire de l’épidémie », il reste sûrement beaucoup à faire. Bernard Pécoul, de Médecins sans frontières, n’hésite pas à affirmer dans Le Monde : « Nous ne parviendrons jamais à contrôler cette pandémie avec les médicaments antirétroviraux actuels et les seuls préservatifs… »

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