Reconstitution ou propagande?

Publié le 9 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Vol 93 de Paul Greengrass, excellent réalisateur anglais déjà remarqué il y a quelques années avec un film plus qu’honorable sur un massacre en Irlande du Nord – Bloody Sunday -, a connu un important succès aux États-Unis depuis sa sortie il y a deux mois. Il avait suscité juste avant, après la présentation de sa bande-annonce dans les salles fin avril, une polémique non moins importante : était-il opportun, soutenaient les nombreux adversaires du film, se déclarant les défenseurs du patriotisme et de la « décence », de montrer sur grand écran une reconstitution d’un épisode tragique des événements du 11 septembre 2001 si peu de temps après qu’ils ont eu lieu ? Et cela alors même que la « guerre contre le terrorisme » des États-Unis est loin d’appartenir au passé ?
Comme en fin de compte la majorité des Américains, les autres spectateurs qui auront vu Vol 93, qui sort ces jours-ci à travers toute la planète, seront sans doute étonnés d’apprendre qu’un tel long-métrage a pu faire scandale. Il possède en effet a priori à la fois toutes les apparences du film hollywoodien le plus classique – il a d’ailleurs été distribué par un grand studio (Universal) – et toutes celles du documentaire le plus politiquement correct.
L’ambition affichée de ce film est on ne peut plus claire. Il s’agit de reconstituer aussi fidèlement que possible l’histoire du vol 93 de United Airlines le matin du 11 septembre 2001. Ce fut, on s’en souvient, la seule parmi les quatre liaisons aériennes qui ont fait alors l’objet d’un détournement par des commandos d’al-Qaïda à ne pas avoir percuté sa cible, probablement le Capitole. Une révolte des passagers, attestée par des communications par téléphone portable, a en effet provoqué indirectement la chute de l’avion avant que les pirates de l’air aient pu atteindre leur objectif.
Réalisé, avec talent, comme un bon film catastrophe des années 1970 ou 1980, Vol 93 a été conçu pour donner l’impression au spectateur qu’il est lui-même dans l’avion. Grâce à un montage serré, qui ne laisse pas subsister le moindre temps mort, on partage le vécu des passagers, en particulier celui de la majorité d’entre eux, qui, après avoir connu un moment d’angoisse extrême, se décident petit à petit à ne pas accepter passivement leur sort fatal et à passer à l’action – certains ont en effet appris par téléphone ce qui vient alors de se produire à New York. Les plans qui ne sont pas tournés dans l’aéronef, tout aussi concis et au rythme également rapide, permettent de témoigner de l’affolement qui règne chez les contrôleurs aériens et au sein de l’armée de l’air américaine. Ce qui renforce, bien sûr, l’intensité dramatique du sujet
En « obligeant » le spectateur à s’identifier aux passagers de l’avion, en traitant les pirates de l’air, pour l’essentiel, comme de simples silhouettes dont on ne connaîtra jamais les motivations, en évacuant tout le contexte politico-social des événements du 11 septembre, Vol 93 ne peut guère déranger les certitudes de l’Américain moyen. Voilà pourquoi la polémique qu’il a suscitée a d’ailleurs fait long feu, surtout après que le distributeur a organisé des projections pour les familles des victimes et à la Maison Blanche, ce qui lui a permis d’obtenir une sorte de blanc-seing de ceux qui auraient dû être les plus choqués par l’existence du film si celle-ci était réellement « indécente ».
Vol 93, on l’a déjà compris, même s’il ne s’agit pas, loin de là, d’un film indigne, est en fait un hymne à la gloire de héros américains qui ont refusé de laisser les odieux terroristes arriver à leurs fins et ont accepté, au moins de facto, de se sacrifier pour cela. C’est même tellement vrai que, indice révélateur, le seul passager qui refuse ouvertement de s’associer à la révolte est un des rares non-Américains présents dans cet avion qui devait relier New York à San Francisco. Au total, quelle qu’ait été l’intention du réalisateur, on assiste ainsi à la description d’un jour de gloire pour l’Amérique ! D’une simple reconstitution – très contestable d’ailleurs puisque le scénario est surtout fondé sur des hypothèses – d’un tragique attentat terroriste, on est passé, sinon à un film de propagande – un tel jugement serait excessif – du moins à un film fortement teinté, fut-ce en creux, d’idéologie. Peut-on abhorrer les idées et les méthodes d’al-Qaïda sans pour autant adhérer à la vision anglo-saxonne du monde ? ?C’est la question que pose indirectement un tel film.

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