Le gênant M. Habré

Publié le 9 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Sera-t-il jugé un jour ? Ne le sera-t-il jamais ? Ces questions taraudent les esprits après la décision des chefs d’État africains de traduire en justice au Sénégal l’ancien président tchadien, accusé notamment de crimes contre l’humanité. Premier dossier abordé lors du huis clos du 2 juillet, « l’affaire Habré » a suscité de longues discussions, dont une intervention remarquée de Mouammar Kadhafi. Le « Guide » libyen a fustigé le transfert à La Haye de l’ex-dictateur libérien Charles Taylor, avant d’exiger le jugement d’Habré « en Afrique, par des Africains ».
Il ne dit rien d’autre que ce que suggère Me Robert Dossou, avocat béninois, ancien ministre des Affaires étrangères, président du Comité d’éminents juristes africains chargé d’étudier « les options pour juger Habré ». Présentant aux chefs d’État réunis à huis clos le 2 juillet le rapport de six pages du Comité, Me Dossou a classé, par ordre de préférence, les États susceptibles de poursuivre l’ex-dictateur : le Sénégal, où il vit en exil ; le Tchad, où les faits ont été commis et d’où sont issues les victimes ; tout autre État africain ayant ratifié la Convention des Nations unies contre la torture.
Interpellé au premier chef, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a marqué son accord pour que le procès ait lieu dans son pays. Mais non sans poser deux conditions. Il faut, d’une part, qu’une résolution de l’UA charge expressément le Sénégal d’abriter le jugement. Et, de l’autre, qu’il ne revienne pas à son pays d’en supporter les frais. Après avoir formellement donné mandat à Dakar, l’UA s’est engagée à financer le procès, mais au nom et sous les auspices de l’organisation continentale. Retour donc à la case départ. Habré a été « rendu » au Sénégal, qui avait pensé s’en être débarrassé en déférant son « cas » à l’UA à l’occasion de son sommet, en janvier 2006 à Khartoum.
Ébruitée vingt-quatre heures plus tôt avant de devenir officielle, la décision n’a pas eu l’heur de satisfaire les organisations de défense des droits de l’homme. Lesquelles restent convaincues que seule la Belgique, qui a lancé le 19 septembre 2005 un mandat d’arrêt international contre Habré, peut organiser un procès équitable et diligent.
Présente à Banjul, la forte délégation de Human Rights Watch (dont le directeur adjoint Reed Brody, le président de l’association des victimes tchadiennes Ismaël Hachim Abdoullah, la seule victime sénégalaise vivante Abdourahmane Guèye) n’a pas pu cacher son scepticisme. Surtout à la suite du rejet par Abdoulaye Wade de toute idée de recourir au dossier d’instruction de la justice belge laborieusement constitué après des années d’interrogatoires, de commissions rogatoires et de recherches de documents
Soucieux d’éviter l’enlisement du dossier, tant sont actifs les puissants réseaux d’amitié d’Habré qui ont jusqu’ici empêché son jugement au Sénégal, les militants des droits de l’homme se promettent d’être vigilants. Ils ne sont pas les seuls à se mobiliser. De nombreux mais discrets « amis » d’Habré, dont des personnalités de la presse et de la société civile sénégalaises, ont fait le déplacement de Banjul. Sans crier gare, ils ont « fait les couloirs », multiplié les contacts, plaidé la cause de leur « protégé » auprès des délégations Tandis que Me Elhadji Diouf, l’avocat de l’ex-maître de N’Djamena, donnait de la voix, décochait des flèches à l’encontre de Kadhafi « instigateur de la cabale contre [son] client », multipliait les interviews Intenable.
« Hissein Habré a déjà été jugé au Sénégal, a réagi Me Diouf à la décision des chefs d’État. La Cour de cassation, la plus importante juridiction sénégalaise, a tranché en indiquant que mon client bénéficie d’une immunité pour tous les actes commis alors qu’il était au pouvoir. À ce titre, il ne pouvait être jugé dans le pays. Cette décision, définitive, ne peut être remise en cause par une justice qui ne va pas se déjuger. » Et le fait que le Sénégal adapte sa législation pour devenir compétent, comme le lui suggère le rapport du Comité des éminents juristes africains, n’y change rien. « Même dans ce cas, rétorque l’avocat, Habré ne pourra être traduit devant un tribunal. Nous sommes en matière pénale. En vertu du principe de non-rétroactivité, la loi à venir, plus dure pour mon client, ne s’appliquera pas à lui. »
Autant dire que l’affectation du dossier au Sénégal crée plus de problèmes qu’il n’en résout, et promet de sérieuses empoignades juridiques et politiques.

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