Michèle Lamarche : « La situation de la dette n’est en rien comparable à celle des années 1980 »

Dans le cadre de l’enquête « Au secours, la dette revient », publiée dans Jeune Afrique (2719, du 17 au 23 février 2013), Michèle Lamarche, associée gérant de la banque d’affaires Lazard et experte de la dette souveraine, répond à nos questions.

Michele Lamarche cumule 30 ans d’expérience dans le conseil aux États. © Bloomberg

Michele Lamarche cumule 30 ans d’expérience dans le conseil aux États. © Bloomberg

Publié le 17 février 2013 Lecture : 4 minutes.

Au cours d’une carrière de 30 ans chez Lazard, Michèle Lamarche a acquis une expertise de choix en matière d’endettement des États. Elle a négocié partout dans le monde, toujours pour le compte des États endettés contre leurs créanciers que ce soit en Irak, en Argentine, au Gabon ou en Côte d’Ivoire. Dernier dossier chaud qu’elle a eu à traiter : la Grèce… Spécialisée dans la restructuration de dette et le conseil aux gouvernements, elle dirige une équipe d’une quinzaine de personnes depuis les bureaux parisiens de la banque d’affaires.

Jeune Afrique : croyez-vous qu’il y ait un risque réel de surendettement ? Si oui, quels pays vous semblent les plus fragiles ? Qu’ont-ils en commun dans la structure de leur économie ?

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Michèle Lamarche : Les allègements de dettes consentis dans le cadre PPTE et MDRI ont considérablement atténué les risques de surendettement. Pour de nombreux pays africains, l’heure est plutôt a une politique de ré-endettement raisonnable et contrôlée, dans le cadre des disciplines recommandées par le FMI et la Banque mondiale (accorder la priorité aux financements concessionnels s’agissant de la dette extérieure, contracter de la dette de marché après avoir conduit une analyse très stricte des projets à financer et maîtriser l’endettement intérieur). Clairement, la crise de la dette est derrière dorénavant pour la vaste majorité des pays africains (seuls restent éligibles aux annulations PPTE le Tchad, le Soudan, la Somalie, l’Érythrée et peut être le Zimbabwe).

La crise de la dette est derrière dorénavant pour la vaste majorité des pays africains.

La politique de ré-endettement a toutefois été conduite diversement selon les pays et certains d’entre eux sont confrontés à l’obligation de maîtriser à nouveau leurs engagements financiers. Le Sénégal est dans cette situation, principalement en raison d’un accroissement très rapide de la dette intérieure que le nouveau gouvernement s’attache à endiguer. La Côte d’Ivoire elle aussi est, en dépit du franchissement du point d’achèvement en 2012, confrontée à des tensions récurrentes sur son financement du fait de l’ampleur de sa dette bancaire intérieure qui doit être refinancée régulièrement. Néanmoins, même pour ces pays plus fragiles, car ne disposant pas de la manne pétrolière, la situation n’est en rien comparable à celle des années 1980.

Les États sont-ils bien conseillés dans leurs émissions ?

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Il est essentiel pour un émetteur souverain, notamment pour un primo accédant au marché international, de s’entourer d’un conseiller financier expérimenté et indépendant des banques de marché tel que Lazard et d’un conseiller juridique international expérimenté. Une émission obligataire internationale est toujours une opération complexe, avec de nombreuses considérations juridiques, financières et techniques. Mal structurée, mal « pricée », ses conséquences peuvent peser durablement et lourdement sur les finances publiques, qu’il s’agisse d’un coupon trop élevé, de protections juridiques insuffisantes, ou bien d’une base d’investisseurs insuffisamment diversifiée et n’incluant pas assez d’investisseurs à long terme. Des opérations récentes conduites par certains émetteurs qui n’étaient pas accompagnés par des conseillers indépendants ont démontré toute la pertinence de ce constat.

Ont-ils les moyens de mener les programmes d’investissement sous-tendus par ces émissions obligataires ?

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Les émissions obligataires sur les marchés internationaux sont généralement motivées par le besoin de financer de grands projets d’infrastructures. Comme le recommandent fortement le FMI et la Banque mondiale, il convient donc de procéder à une sélection rigoureuse et à une analyse approfondie de la rentabilité des projets d’investissement afin de s’assurer de leur rôle moteur pour la croissance future. La capacité d’absorption par l’économie nationale des fonds levés est également un paramètre important qui mérite d’être évalué par des experts compétents (comme par exemple l’agence nationale des grands travaux du Gabon).

De manière générale, les montants levés sur les marchés restent très inférieurs aux besoins de financement globaux affichés dans les plans de développement pluriannuels et sont affectés à des projets indubitablement porteurs de croissance (notamment les infrastructures de transport permettant de désenclaver le territoire et d’accroître l’intégration régionale).

Les prêts chinois en Afrique dépassent en volume ceux de la Banque mondiale.

Les bailleurs sont-ils toujours les principaux créanciers de l’Afrique subsaharienne ?

Les grandes institutions multilatérales comme la Banque mondiale ou la BAD demeurent des acteurs incontournables aux côtés des bailleurs bilatéraux de l’OCDE mais leur place a eu tendance à se réduire avec la montée en puissance des financements issus des pays émergents, et notamment de la Chine. Les prêts chinois en Afrique dépassent en volume ceux de la Banque mondiale.

Les pays africains disposent donc de guichets de financement concessionnels multiples. La situation varie sensiblement selon les pays.

Comment un État peut-il optimiser ses sources de financement ?

Pour éviter de nouvelles crises de la dette, il est très important pour les États de structurer les financements pour les grands projets de façon à limiter autant que possible le recours à leurs bilans. Pour atteindre cet objectif, de plus en plus de pays cherchent à développer des PPP [partenariat public-privé, ndlr] sur le modèle des mécanismes mis en œuvre dans les économies plus matures. Ceci suppose de se doter d’un cadre juridique robuste et d’améliorer le climat des affaires pour rassurer les investisseurs.

Certains pays comme la Côte d’Ivoire ont été les précurseurs sur le continent pour ce type de financements qui a vocation à se généraliser car il permet d’optimiser les sources de financement et de préserver la soutenabilité des finances publiques.

Retrouvez l’enquête « Au secours, la dette revient » dans Jeune Afrique actuellement en kiosques (2719, du 17 au 23 février 2013).

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