Et l’Afrique dans tout ça ?

Pour répondre aux besoins en énergie, un nombre croissant de gouvernements projettent de construire des centrales, notamment dans les pays émergents et sur le continent.

Publié le 9 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Grâce à la forte hausse du baril de pétrole, le prix de l’uranium a connu une augmentation tout aussi formidable puisque la livre de ce métal « gris » a bondi de moins de 10 dollars au début de 2003 à près de 40 dollars aujourd’hui. Deux raisons à cette revalorisation : tous les pays cherchent à la fois à réduire leur facture pétrolière et gazière, et à préserver leur indépendance énergétique. L’Afrique peut-elle profiter de ce regain du nucléaire ?
À côté des solutions traditionnelles, comme les barrages, ou « écologiquement correctes » mais limitées, comme le solaire ou l’éolien, le nucléaire a amélioré son image auprès des opinions publiques, longtemps traumatisées par l’accident de la centrale ukrainienne de Tchernobyl, en 1986. D’autant que la production de l’électricité d’origine nucléaire émet peu de ces gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement de l’atmosphère.
Partout, les gouvernements projettent de construire des centrales nucléaires, notamment dans les pays émergents où la croissance accélérée de l’économie exige toujours plus d’énergie. L’énorme Chine entend se doter dans les plus brefs délais de quatre réacteurs et d’une trentaine d’autres d’ici à 2020. La Russie parle d’installer une quarantaine de réacteurs en quinze ans. L’Inde et le Brésil ne seront pas en reste. Quant aux vieilles nations nucléaires comme la France, la Grande-Bretagne ou les États-Unis, elles accroissent les capacités de leurs centrales existantes et en mettent de nouvelles en chantier.
C’est donc la ruée vers le combustible nucléaire, l’uranium, car la demande des électriciens atteint désormais 70 000 tonnes par an, et les mines en fournissent seulement 40 000. Le déficit en uranium est comblé par quatre sources, dont les deux premières s’épuisent : les bombes A démantelées, les stocks des électriciens, le retraitement du combustible usagé et le réenrichissement de l’uranium appauvri. Mais l’uranium ne manque pas, selon un rapport publié le 1er juin par l’Agence internationale de l’énergie atomique et l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui estiment que ses réserves dépassent largement 85 ans de consommation au rythme actuel, sans compter l’uranium contenu dans les phosphates, qui porterait les réserves à 675 ans.
Les mineurs s’en donnent donc à cur joie pour accélérer l’extraction du précieux minerai. Fort d’une augmentation de 19 % de ses recettes 2005 en provenance de l’uranium, le premier producteur mondial, Cameco (8 320 t), a décidé d’investir 32 millions de dollars en 2006 dans l’exploration de gisements canadiens et australiens. Son dauphin, Rio Tinto (6 370 t), creuse le sol namibien comme jamais. Le troisième, le français Areva (6 020 t), relance ses mines nigériennes et kazakhes, et entend doubler sa production d’ici à 2010. Areva, par ailleurs numéro un mondial du nucléaire civil puisqu’il est le seul à contrôler l’ensemble de la filière nucléaire (mines, exploitation de centrales, distribution d’électricité, retraitement des déchets nucléaires), est présent au Niger depuis la fin des années 1960. Sa filiale Cogema participe au capital des deux sociétés de droit nigérien, Somair et Cominak, qui exploitent une concession dans la région d’Arlit.
Le métal gris représente pour le Niger un tiers de ses exportations, 5 % de son PNB et 4 % de ses recettes fiscales. C’est dire l’importance de l’uranium pour ce pays très pauvre en ressources naturelles ce qui n’a pas empêché la Commission nigérienne des droits de l’homme de mener, au mois de juin, des investigations dans les environs d’Arlit pour mesurer les dangers potentiels de la radioactivité émise par l’activité minière, tant les populations touarègues redoutent les méfaits des irradiations sur leur santé.
Avec une production de 3 200 t par an, le Niger a rétrogradé, en 2005, à la cinquième place des pays producteurs d’uranium derrière le Canada (11 790 t), l’Australie (9 350 t), le Kazakhstan (4 100 t) et la Russie (3 300 t). Il devance toujours la Namibie (3 050 t), l’Ouzbékistan (2 600 t), les États-Unis (1 100 t), l’Afrique du Sud (850 t) et l’Ukraine (850 t).
Avec l’entrée prochaine en exploitation d’un gisement d’une capacité théorique de 1 200 t par an, la Namibie devrait passer devant le Niger, mais celui-ci pourrait retrouver, dans quelques années, sa prééminence en Afrique si les quatre demandes de permis d’exploration déposées par la Cogema en 2004 se révèlent fructueuses. L’Afrique du Sud a longtemps été un producteur d’uranium de premier plan puisque ses mines ont produit du métal gris comme sous-produit de l’or, depuis 1951. Les 5 000 t annuelles ne sont plus qu’un souvenir, et une seule mine d’or continue à produire 850 t. On a détecté des gisements dans le Hoggar algérien, la Centrafrique ou la République démocratique du Congo, mais il reste à préciser, dans chaque cas, la teneur, la quantité et l’accessibilité des minerais.
Mais le nucléaire ne se réduit pas à l’uranium. Les innombrables villages privés d’électricité et les coupures de courant qui découragent les industriels, de Dakar à Antananarivo, rappellent que l’Afrique a un besoin urgent d’énergie électrique. Les barrages ivoiriens ou zimbabwéens, les centrales fonctionnant au charbon, au gaz ou au pétrole ne suffisent plus. Pourquoi ne pas imaginer que l’électricité d’origine nucléaire puisse participer au développement du continent, un jour ? Après tout, l’Afrique du Sud – mais elle seule – maîtrise la totalité de la filière de la mine au stockage en passant par l’enrichissement et, bien sûr, par l’unique centrale nucléaire d’Afrique exploitée par l’électricien Eskom, à Koeberg, près du Cap. Les deux réacteurs de cette centrale installée en 1985 par Areva lui donnent une capacité de 1 930 mégawatts.
Pour préserver son indépendance énergétique et limiter le recours à un charbon très polluant, le gouvernement sud-africain poursuit la mise au point d’un réacteur nucléaire « Pebble Bed Modular Reactor » (PBMR) de petite puissance (de 150 à 200 mégawatts) qui pourrait être installé à proximité des sites industriels grands consommateurs d’électricité.
Est-ce une voie d’avenir ? « Le nucléaire ne sera pas « la » solution, mais « une » solution », répond l’ancien ministre burkinabè Zéphirin Diabré, aujourd’hui conseiller de la présidente d’Areva, Anne Lauvergeon, pour les questions internationales. « Le débat se développe, souligne-t-il, parce que : un, la sécurité nucléaire a fait beaucoup de progrès. Deux, il reste à régler la question des déchets nucléaires, afin qu’ils ne se rappellent pas à notre souvenir. Trois, les centrales nucléaires actuelles sont faites pour des pays qui ont de grands besoins électriques et sont trop grosses pour nous, Africains. Saurons-nous développer des centrales de dimensions petites ou moyennes ? Les Américains ont été les premiers à prévoir le filon que le projet représentait, et le président Bush a fait des propositions en ce sens. Areva y réfléchit également avec les Sud-Africains. Si ces trois conditions sont réunies, alors oui, le nucléaire fera partie du paysage de notre continent. »
Qui commencera ? « Ce pourrait être un pays organisé et disposant déjà d’ingénieurs de qualité, comme la Tunisie, le Nigeria ou le Mozambique », estime Zéphirin Diabré. À partir du moment où un gouvernement aura décidé de miser sur le nucléaire, il faudra compter au moins quinze ans pour que son projet se transforme en centrale électrique en fonctionnement. À condition de mener de front la législation et la réglementation, l’autorité de sûreté nucléaire, l’étude et le choix des sites, la formation du personnel, l’achat d’une licence, etc. Un sacré chantier et un formidable défi.

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