Akwaba, Monsieur Sassou !

Publié le 9 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

« C’est un motif baoulé. Et figure-toi que c’est un métis qui a fait ces tableaux. Il est moitié ivoirien moitié corse, et s’appelle Santori ! » Confortablement installé avec Denis Sassou Nguesso, verre de champagne à la main, dans un salon de sa résidence de Cocody, Laurent Gbagbo éclate de rire. Il est 21 heures, en ce 6 avril, et la séance de travail du chef de l’État ivoirien avec le président en exercice de l’Union africaine va se prolonger par un dîner. Dernier dirigeant africain en date à s’attaquer au règlement de la crise ivoirienne, Sassou est arrivé à l’aéroport d’Abidjan à 18 h 15, avec deux heures de retard. Il a été retenu plus longtemps que prévu à Cotonou, où il s’est entretenu avec Mathieu Kérékou, l’ancien, et Boni Yayi, le nouveau président béninois. Son séjour à Abidjan va s’en trouver réduit d’autant. Une vraie course contre la montre.
Finalement, Sassou n’est resté que trente-six heures, mais il a réussi – une vraie performance – à rencontrer tous les protagonistes de la crise : du chef de l’État au secrétaire général des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion), en passant par les chefs d’état-major des deux armées rivales et les leaders de l’opposition, Henri Konan Bédié (PDCI) et Alassane Dramane Ouattara (RDR). Le fait que ces hommes à l’agenda surchargé aient trouvé le temps de se rendre dans le Salon balafon, au 23e étage de l’hôtel Ivoire, est interprété par les plus optimistes comme un signe encourageant pour la suite. Et si la paix était vraiment en marche ?
Quoi qu’il en soit, Sassou débarque à Abidjan à un moment clé. Trois jours plus tôt, les généraux Philippe Mangou (le chef des Fanci) et Soumaïla Bakayoko (celui des FAFN) se sont rencontrés à Yamoussoukro, puis à Bouaké. Pour amorcer le dialogue et mettre sur les rails l’intégration de leurs deux états-majors. Bien des problèmes demeurent, mais l’atmosphère de fraternité d’armes qui a prévalu pendant la rencontre est de bon augure. Comme si les militaires avaient voulu signifier aux politiques que la balle allait bientôt être dans leur camp. Cette même semaine, le général béninois Fernand Marcel Amoussou a été nommé à la tête de l’Onuci, la force onusienne d’interposition, en remplacement du général Abdoulaye Fall. Et le Suisse Gérard Stoudmann arrivera prochainement à Abidjan pour prendre les rênes du processus électoral, en lieu et place d’Antonio Monteiro. Enfin, le Premier ministre Charles Konan Banny devait entreprendre le 10 avril sa première visite officielle en France
À minuit, Sassou quitte Gbagbo et gagne, seul, l’hôtel Ivoire pour rencontrer Konan Banny. Deux proches collaborateurs l’y rejoignent : son ministre des Affaires étrangères, Rodolphe Adada (qui copréside à ce titre le Groupe de travail international avec le Suédois Pierre Schori, le représentant de Kofi Annan) et Firmin Ayessa, son directeur de cabinet adjoint. Les deux hommes reviennent du Golf Hotel, dans un autre quartier de la ville, où ils ont discrètement rendu visite à Guillaume Soro. La rencontre a été tendue. Le « petit frère », comme l’appellent ses proches, n’a qu’une idée en tête : l’identification des Ivoiriens. Pour lui, c’est un préalable à la tenue des élections. Plus important encore que le désarmement. Les FN, qui ont pris les armes pour obtenir une carte d’identité, ne les rendront qu’à ce prix. Sur ce point, Soro ne transigera pas.
Peut-il néanmoins accepter, comme Sassou devait le lui proposer le 8 avril, sur le conseil du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), un calendrier simultané des opérations d’identification et de désarmement ? Si la volonté politique existe, l’ONU estime que l’identification des électeurs pourrait prendre moins de quatre mois, tout comme le « préregroupement » des belligérants dans les casernes. À condition que les deux opérations démarrent immédiatement.
En principe, les cinq principaux protagonistes de la crise (Gbagbo, Konan Banny, Bédié, Ouattara et Soro) devaient se rencontrer à huis clos, le 8 avril.
Sassou peut donc être satisfait de son premier séjour ivoirien. Sa capacité à écouter les uns et les autres (comme il l’avait déjà fait, en 1987, lors de la crise entre Cuba, les États-Unis et l’Afrique du Sud à propos de l’Angola) et son art du compromis (déjà démontré dans son propre pays) ont été très appréciés de ses interlocuteurs. Bien sûr, les « pro-Gbagbo » n’apprécient guère sa proximité avec les responsables français, et les « anti- » ses liens avec l’Angolais Eduardo Dos Santos, mais c’est somme toute secondaire. Tous se réjouissent du retour d’un francophone à la barre. « Les subtilités linguistiques étant au cur de cette crise, il est heureux que nous se soyons plus contraints de faire appel à des traducteurs », commente un baron du PDCI.
Le président de l’UA s’est envolé le 8 avril, à midi, pour Abuja, au Nigeria, où une autre crise l’appelait : celle du Darfour…

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