Évangélistes, le malaise

Depuis la promulgation, en 2006, sous la pression des milieux conservateurs, de la loi réprimant le prosélytisme, il ne fait pas bon se revendiquer chrétien.

Publié le 9 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Elle accepte de témoigner, à condition que son nom ne soit pas expressément mentionné. « Par les temps qui courent, il ne fait pas bon se revendiquer chrétien en terre d’Algérie », regrette-t-elle. Étudiante en sciences sociales, Nawel, 20 ans, s’est convertie à la religion chrétienne en janvier 2006. De même que son père, marin de son état, et sa mère, femme au foyer. Une fois par semaine, Nawel se rend dans une église évangéliste à Béjaïa (Kabylie) pour assister à l’office hebdomadaire célébré par le pasteur Saïd. Aux côtés de quelque deux cents autres fidèles, elle récite des prières collectives, adresse des louanges à Jésus-Christ avant de célébrer la cène avec ses compagnons, femmes et hommes de tous âges et de diverses extractions sociales. « Avant, j’étais tourmentée ; maintenant, je suis heureuse et apaisée grâce à la lecture de la Bible, explique Nawel. J’ai enfin trouvé le salut de mon âme auprès de Jésus le Sauveur. Les Évangiles prêchent l’amour, la fraternité, la tolérance, le pardon et le respect d’autrui. »

Trente-deux communautés
Le nombre de ces Algériens qui, comme Nawel et sa famille, abandonnent l’islam pour entrer dans le christianisme ne cesse d’augmenter. Officiellement, on dénombre 11 000 chrétiens, dont une grande majorité de catholiques, sur une population de 33 millions d’habitants. Mais ils seraient plus nombreux, surtout s’agissant des protestants. Mustapha Krim, successeur du révérend américain Hugh Johnson (lire encadré) à la tête de l’Église protestante d’Algérie (EPA), avance le chiffre de trente-deux communautés protestantes, réparties sur l’ensemble du territoire national. « Toutes ces communautés sont dûment recensées et enregistrées par les autorités compétentes, affirme le pasteur kabyle. Elles sont régies par des statuts et un règlement intérieur en tant qu’annexes de notre Association nationale, dont l’agrément remonte à 1974. Les temples sont pleins, avec chacun en moyenne 100 à 150 paroissiens, le double pour certains. »
Ni phénomène de société ni fait marginal, ces vagues de conversions n’en sont pas moins à l’origine aujourd’hui d’une vive polémique dans le pays. Stigmatisés par certains titres de la presse arabophone, accusés d’apostasie, menacés de prison pour prosélytisme, ces nouveaux convertis suscitent une véritable levée de boucliers de la part des autorités religieuses algériennes. Abderrahmane Chibane, président de l’Association des oulémas, les assimile aux néoconservateurs américains ; Cheikh Bouamrane, président du Haut Conseil islamique (HCI), y voit une menace et une atteinte à l’islam ; alors que le ministre des Affaires religieuses, Bouabdellah Ghlamallah, les qualifie de hors-la-loi. Pas moins ! « Un étranger qui demande à un Algérien de changer de religion, c’est une atteinte à sa dignité », tempête-t-il.

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Discrétion et anonymat
Sous la pression des imams et autres dignitaires religieux, le gouvernement d’Abdelaziz Belkhadem a fait voter, le 28 février 2006, une nouvelle loi visant à étouffer dans l’uf cette évangélisation rampante. Désormais, toute personne qui « incite ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion » est passible d’une peine de cinq ans de prison et d’une amende de 1 million de dinars (environ 10 000 euros). Une dizaine de personnes ont déjà été jugées et condamnées en vertu de cette nouvelle législation, alors qu’une vingtaine d’étrangers, essentiellement des étudiants subsahariens, ont été expulsés d’Algérie au prétexte qu’ils ont participé à des réunions bibliques. Des mesures que d’aucuns jugent anticonstitutionnelles, la Loi fondamentale garantissant la liberté de culte. Bien sûr, ce tour de vis des autorités n’a pas manqué de susciter l’inquiétude des communautés chrétiennes en Europe, d’autant que l’Église catholique algérienne, qui se défend de faire du prosélytisme, semble faire les frais de l’activisme des évangélistes. Les quatre évêques catholiques ont d’ailleurs été reçus, le 25 février, par Bouabdellah Ghlamallah, à qui ils ont fait part de leurs préoccupations face aux pressions auxquelles sont soumis les membres de leur communauté.
Mais en dépit de son caractère répressif, la nouvelle loi est loin de dissuader les nouveaux adeptes de Jésus. À Tizi-Ouzou, Béjaïa, Oran, Sidi Belabès, Msila, Annaba et même dans le sud du pays, les paroisses fleurissent et les Bibles s’échangent, ou se vendent à raison de 300 dinars l’unité (environ 3 euros), quand elles ne sont pas carrément offertes à ceux qui souhaitent rejoindre la voie du Christ. Si nombre de ces communautés pratiquent leur culte au grand jour, beaucoup ont au contraire opté pour la discrétion et l’anonymat. Installées dans des garages, des appartements, voire dans de somptueuses villas, elles tiennent les journalistes à distance et refusent de communiquer, par méfiance ou par peur de représailles. Formés sur le terrain ou dans des facultés de théologie en France, la plupart des prêtres sont de nationalité algérienne et exercent une activité professionnelle, parallèlement aux séminaires qu’ils délivrent dans leurs paroisses respectives. Si une partie est importée ou distribuée gratuitement dans le port de Marseille, la plupart des ouvrages bibliques, CD, DVD et autres cassettes audio, disponibles en arabe, français, anglais et berbère, sont tout simplement édités en Algérie.

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