Moussa Kaka

Journaliste nigérien, correspondant de Radio France internationale au Niger

Publié le 9 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Et de six. Le 20 mars, cela fera exactement six mois que Moussa Kaka, directeur de la radio Saraounia et correspondant de Radio France internationale (RFI) au Niger, croupit dans la prison civile de Niamey. Six mois qu’il cherche en vain à tuer le temps en jouant à la belote, en lisant et en écoutant la radio. Six mois, aussi, que le pouvoir l’accuse de « complicité d’atteinte à l’autorité de l’État » pour avoir eu des contacts téléphoniques – rien que de très normal pour un journaliste – avec les rebelles touaregs du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ). Six mois, enfin, que plane sur lui le spectre d’une peine de prison à vie « Six mois déjà », ne cessent de marteler son employeur français et l’association Reporters sans frontières (RSF), qui organisent, le 10 mars, une journée spéciale de soutien, à laquelle s’associe Jeune Afrique.

Moussa Kaka est aujourd’hui victime de l’« acharnement d’un régime qui se prétend exemplaire en matière de bonne gouvernance et de démocratie », estiment ses proches. Dans son entourage, personne ne comprend, en effet, comment sa demande de remise en liberté provisoire a pu être rejetée, le 12 février, alors que la justice nigérienne avait déclaré illégales, en novembre dernier, les écoutes téléphoniques de ses conversations avec des dirigeants du MNJ – le seul élément à charge contre lui. Ses amis voient par ailleurs dans la décision de la cour d’appel de Niamey de réintroduire les enregistrements dans le dossier d’accusation et de confier l’affaire au doyen des juges d’instruction – au détriment du magistrat qui en était chargé jusqu’à présent – une volonté manifeste de tout mettre en uvre pour le garder à l’ombre le plus longtemps possible Preuve en est, selon eux, le traitement spécifique dont fait l’objet le journaliste. Alors que François Bergeron, Thomas Dandois, Pierre Creisson et Ibrahim Manzo Diallo, ses quatre confrères embastillés ces derniers mois au Niger pour les mêmes raisons, ont recouvré la liberté, Moussa, lui, dort toujours en prison.
« Certes, mon client est otage d’une situation complexe, explique Me William Bourdon, l’avocat français du correspondant de RFI. Mais c’est à se demander si, finalement, il n’y a pas quelqu’un qui apprécie de voir un gêneur provisoirement écarté. » Le cas Moussa Kaka est effectivement indissociable des tensions qui ont marqué les relations entre la France et le Niger depuis près d’un an, sur fond de revalorisation du prix d’achat de l’uranium nigérien. Mais alors, comment expliquer qu’il n’ait pas tiré profit de l’accord intervenu entre Niamey et le groupe Areva au début du mois de janvier qui a ouvert une période de décrispation ? Existe-t-il un passif beaucoup plus lourd entre le patron de Saraounia et l’État nigérien ?
Réputé pour son indépendance et sa rigueur, Kaka est considéré dans son pays comme une voix qui dérange. À 44 ans, il effectue son troisième séjour en prison « Sous Seyni Kountché, déjà, il avait fait neuf mois de cachot », se souvient sa femme Djamila. Plus récemment, en août 2004, il fut également incarcéré pendant cinq jours pour avoir diffusé l’interview d’un présumé rebelle nordiste. Diplômé de l’École de journalisme de Niamey, l’homme s’est toujours attaché à fuir la presse aux ordres. S’il a fait ses premiers pas dans le métier à l’Office de radiodiffusion télévision du Niger (ORTN), au milieu des années 1980, il a ensuite participé à la création de l’hebdomadaire privé Le Républicain, en 1991, aux côtés de son ami Mamane Abou une autre bête noire du régime -, avant de fonder, en décembre 2000, sa propre station de radio, qui compte aujourd’hui cinq antennes (Niamey, Konni, Tahoua, Madaoua et Maradi). Fin connaisseur du conflit touareg, qu’il couvre depuis son déclenchement au début des années 1990, il fut, enfin, l’un des premiers à en rendre compte sur la scène internationale. Recruté par RFI avant la conférence nationale qui marqua le début de la transition démocratique au Niger, en 1991, il a, depuis, travaillé sans interruption pour la station française.

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Pour certains, Moussa paie donc son refus de rentrer dans le rang. « C’est en fait le président Mamadou Tandja qui le maintient en détention, juge l’un de ses amis. Le chef de l’État lui reproche de diffuser des informations susceptibles d’affaiblir le pays. À chaque fois qu’il rapporte une nouvelle attaque rebelle dans le nord du Niger, il laisse entendre que l’État est fragile et que l’armée ne vaut rien. » Les autorités nigériennes s’en défendent et affirment que Kaka n’est rien d’autre que l’un de ces « bandits touaregs » du MNJ, même si elles paraissent avoir le plus grand mal à le prouver, s’obstinant, pour accréditer leur thèse, à vouloir imposer comme pièces à charge des enregistrements illégaux Alors que l’image du Niger à l’étranger est en jeu, pourquoi ne produisent-elles pas des preuves irréfutables de ce qu’elles avancent ? Pourquoi donnent-elles à leurs adversaires les verges pour se faire battre, comme le 25 février, lorsqu’elles ont interdit à Robert Ménard, secrétaire général de RSF, de pénétrer sur leur territoire ?
D’abord assommé par l’arrêt inattendu du 12 février, Kaka a retrouvé sa combativité, confie son avocat nigérien, Me Moussa Coulibaly. « Son moral remonte, il sait qu’il peut compter sur une forte mobilisation internationale et sur le soutien de ses confrères. » Déterminé, le journaliste n’entend pas non plus attendre sans rien faire que la justice lui permette de retrouver sa femme et ses six enfants. « Outre un pourvoi en cassation, nous avons déposé plainte contre les auteurs des écoutes téléphoniques, reprend Me Coulibaly. Au nom de l’article 22 de la Constitution, qui garantit le secret de la correspondance et des communications, il sera entendu le 23 mars comme plaignant. » En attendant, Moussa continue à jouer à la belote, à lire et à écouter la radio

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