Trois baobabs pour un fauteuil

Publié le 9 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Inspirée ou non par le pouvoir en place à Bangui, la décision de la Cour constitutionnelle de transition centrafricaine d’écarter de la course à l’élection présidentielle du 13 février, sous des prétextes divers, une demi-douzaine de candidats, dont certains ont dans le pays une implantation réelle, était à tout le moins une maladresse politique. Aussi le correctif qu’y a apporté, début janvier, le chef de l’État François Bozizé a-t-il été le bienvenu : impensable en effet d’imaginer une consultation crédible sans la participation d’un représentant du MLPC (Mouvement de libération du peuple centrafricain), l’un des deux principaux partis du pays, ou d’un candidat aussi connu à l’étranger que Jean-Paul Ngoupandé. La France, qui a ouvertement souhaité une élection « sans exclusive », et les voisins d’Afrique centrale ont d’ailleurs fortement poussé dans le sens de ce réajustement.
Reste qu’au passage la Cour constitutionnelle, censée valider les résultats de la future présidentielle, a perdu une part de sa crédibilité, au point que tous les candidats de l’opposition exigent aujourd’hui sa dissolution ainsi que la requalification de la totalité des postulants exclus par cette même Cour, dont l’ex-chef de l’État Ange-Félix Patassé – pourtant détesté par nombre d’entre eux, qui n’ont pas cessé de le déstabiliser lorsqu’il était au pouvoir. Le jeu est donc ouvert et tout demeure possible, y compris un report des élections présidentielle et législatives – hypothèse difficile à envisager néanmoins, car se poserait alors crûment le problème du paiement des salaires des fonctionnaires, assuré jusqu’ici par la solidarité des voisins de la Cemac (Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale), lesquels ont fait savoir qu’ils n’iraient pas au-delà de l’échéance de février 2005.
Trois pôles, symbolisés par trois personnalités qui ont en commun d’être ou d’avoir été les présidents d’un pays sinistré, domineront quoi qu’il arrive, pour le meilleur ou pour le pire, la vie politique centrafricaine en cette année cruciale. André Kolingba tout d’abord : souffrant, il se soigne en France depuis de longs mois. Son parti et la communauté dont il est issu, les Yakomas, représentent environ un quart de l’électorat. Personnage discret, Kolingba voyage peu et ne dispose pas de véritables relais dans la région, si ce n’est l’Ougandais Yoweri Museveni. Un ou deux de ses proches sont bien introduits dans l’entourage de Denis Sassou Nguesso au Congo, et il bénéficie, dit-on, de l’appui financier de commerçants libanais repliés à Douala ainsi que de diamantaires musulmans centrafricains.
Ange-Félix Patassé ensuite : après avoir longtemps refusé d’envisager sa propre candidature, car cela revenait en quelque sorte à reconnaître la légitimité de son tombeur, le prédécesseur de Bozizé a sauté le pas – mais il n’est pas encore qualifié. En exil à Lomé, Patassé risque fort, s’il rentre à Bangui, d’être immédiatement arrêté dans le cadre des procédures ouvertes contre lui. Figure de référence du MLPC, il contrôle même à distance une bonne partie des « savaniers », soit 20 % à 25 % de l’électorat. Même en cas d’invalidation définitive, il n’est pas sûr que ce personnage obstiné soutienne celui qui est présenté comme le candidat de remplacement de son parti : l’ex-Premier ministre Martin Ziguélé. Point faible de Patassé : l’argent. Il n’en a pas ou à tout le moins il en dépense peu. Proche du président togolais Eyadéma, qui l’héberge, il entretient également de discrètes relations avec l’Équatoguinéen Obiang Nguema.
François Bozizé, enfin. L’actuel chef de l’État n’a pas de parti mais une mouvance, qui s’efforce de ratisser large – particulièrement dans le nord et l’est du pays. Jusqu’ici, les présidents Déby, Bongo Ondimba, Sassou Nguesso, Kabila, Biya et Chirac le soutiennent, mais il sait que cet appui, à l’image de l’état de grâce dont il a bénéficié à la suite de sa prise de pouvoir, est réversible. Le caractère répétitif de la crise centrafricaine a en effet tendance à lasser tout le monde, et l’indifférence serait la pire des solutions. Aussi François Bozizé a-t-il intérêt à ce que l’élection se tienne à la date prévue.
Aux côtés de ces trois baobabs, Abel Goumba, Jean-Paul Ngoupandé, Charles Massi et les autres, pour respectables qu’ils soient, apparaissent comme des candidats d’appoint dont la présence au second tour semble improbable. Leur discours, tout comme celui du président de l’Assemblée de transition Nicolas Tiangaye, souffre, entre autres, d’un déficit de crédibilité : très critiques aujourd’hui à l’encontre de François Bozizé, ils ont activement participé hier à créer les conditions de son coup d’État, puis à le légitimer. Reste enfin l’éternelle tentation du recours à la violence : elle demeure hélas ! bien réelle dans la mesure où aucun des candidats de poids ne semble prêt à accepter l’éventualité d’une défaite. Hypothèse cauchemardesque. La Centrafrique, en effet, pourrait cette fois ne pas s’en remettre.

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