James Wolfensohn un banquier avec un coeur

Ancien escrimeur de haut niveau et passionné de musique, le futur ex-patron de la Banque mondiale se veut le champion de la lutte contre la pauvreté.

Publié le 9 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

On serait tenté d’imaginer le président de la Banque mondiale en gentleman vaguement compassé, immuablement coiffé d’un chapeau melon et porteur d’un parapluie. Erreur ! James David Wolfensohn est exactement le contraire, s’il faut en croire Sebastian Mallaby, qui dresse son portrait dans The World’s Banker (« Le Banquier du monde », The Penguin Press, New York, 2004). Élu président de l’institution en 1995, réélu en 2000, il aurait probablement aimé se représenter cette année. La droite américaine s’y opposera à coup sûr. Quoi qu’il arrive, il aura imposé sa marque.
Cette « fantastique force de la nature » qu’est Wolfensohn est née à Sydney, en Australie, le 1er décembre 1933, dans une famille juive émigrée d’Angleterre après la Première Guerre mondiale. Le père, qui se considérait comme un raté, a reporté ses ambitions sur son fils. Lequel, après avoir lui-même failli rater son entrée à l’université, a rapidement joué sur plusieurs tableaux. Il a non seulement terminé ses études de droit, mais pris goût à l’escrime. En 1956, il a même représenté l’Australie dans les épreuves d’épée des jeux Olympiques de Melbourne.
En 1957, il tente en vain de s’inscrire à Oxford, en Angleterre, mais finit pas se faire accepter à Harvard, aux États-Unis. Le voyage Sydney-Londres lui est offert par le ministre de l’Air australien, et la traversée de l’Atlantique par un oncle londonien. En 1961, pendant son séjour à la Harvard Business School, il se marie avec Elaine Botwinick, qu’il a rencontrée à un concert. Car c’est aussi un passionné de musique.
L’année 1964 marque son entrée dans le monde de la finance, via une petite banque australienne, Darling and Co. Dans les années qui suivent, il se fait des amis tels que David Rockefeller, de la Chase Manhattan Bank, Sigmund Warburg, fondateur de la grande banque éponyme et autre passionné de musique, ou Gordon Richardson, président de Schroders, l’un des principaux établissements financiers de Londres. Wolfensohn entre chez Schroders en 1968 et y travaillera jusqu’en 1977.
Pendant les années 1970, le financier-épéiste préside parallèlement le conseil d’administration de Carnegie Hall, à New York, et se lie d’amitié avec le grand pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboïm et son épouse, la violoncelliste Jacqueline du Pré. La carrière de virtuose de cette dernière est brisée par la sclérose en plaques. Wolfensohn lui suggère de donner des leçons. Elle n’accepte qu’à la condition qu’il soit son élève et promette de donner un concert dix ans plus tard. Il avait alors 40 ans. À 50 ans, il tient sa promesse, à Carnegie Hall, aux côtés de Leonard Rose, Isaac Stern et Vladimir Ashkenazi. Rien de moins.
En 1977, Michael Verey, le PDG de Schroders, prend sa retraite. Wolfensohn, qui comptait bien le remplacer, ne se voit offrir que le poste de numéro deux. Il refuse, négocie de substantielles indemnités et se retrouve chez Salomon Brothers, ce qui n’était pas un mauvais point de chute. C’est là qu’il réussit, en 1980, ce que William Miller, le secrétaire au Trésor de l’époque, appellera « la plus complexe opération de financement de l’histoire des États-Unis » : le sauvetage du constructeur automobile Chrysler. Quelques années plus tard, il quitte Salomon avec des indemnités de 10 millions de dollars, crée sa propre firme – où il engage Paul Volcker, l’ancien président de la Réserve fédérale – et amasse une fortune estimée à 100 millions de dollars.
Pourtant, de toutes les ambitions de Wolfensohn, celle qui lui tient le plus à coeur est de mener la lutte contre la pauvreté à la tête de la Banque mondiale. « J’y pense quand je me réveille et j’y pense encore quand je m’endors », confiera-t-il au début de son second mandat. En septembre 2004, à la veille d’une réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, il écrivait dans une tribune du New York Times : « Un milliard d’êtres humains contrôlent 80 % du Produit intérieur brut mondial. Et les cinq autres milliards les 20 % restants. Près de la moitié de ces derniers vivent avec moins de 2 dollars par jour. Un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable ; plus de 100 millions d’enfants n’ont jamais eu la possibilité d’aller à l’école ; et plus de 40 millions d’habitants des pays en développement vivent avec le VIH-sida, sans grand espoir de bénéficier d’un traitement. »
Il lui faudra attendre mars 1995 et la présidence de Bill Clinton pour commencer à réaliser son rêve. Naturalisé américain, il ne manque pas d’appuis chez les démocrates. Clinton reste d’ailleurs un ami personnel, qu’il retrouve périodiquement dans la station estivale hyperchic de Jackson Hole, dans le Wyoming.
Lorsqu’il prend les commandes de la Banque mondiale, l’institution souffre d’une image déplorable. Son mépris de l’environnement (construction de grands barrages contre l’avis des populations concernées, destruction de 130 000 km2 de forêt amazonienne, etc.), les raideurs de sa politique d’ajustement structurel et son refus de tout allègement de la dette mobilisent contre elle une partie de l’opinion mondiale. En 1994, à Madrid, Lewis Preston, son président, s’est même fait traiter d’« assassin » et a dû affronter une campagne orchestrée sur le thème « Fifty Years is Enough » (« Cinquante ans, ça suffit »).
« Jim Wolfensohn, écrit Mallaby, s’est battu avec une incroyable énergie pour redonner à la Banque une deuxième jeunesse. Il a pris l’institution à la gorge, virant à peu près tous les hauts responsables et remaniant de fond en comble sa structure et sa mission. Dans les premiers temps, quand il croisait dans les couloirs un membre du personnel, il lui lançait : « Je suis surpris que vous soyez encore là ! » Et le pauvre se demandait si ce n’était pas une invitation à plier bagage. Et pourtant, sous Wolfensohn, la Banque a largement rebondi. Dans les Balkans, elle a fait la preuve qu’elle pouvait être un merveilleux instrument de la stratégie occidentale. En Ouganda, elle a contribué à arracher une personne sur cinq à la pauvreté. Partout dans le monde, la Banque de Wolfensohn a fait progresser le développement. Mais il y a des limites à ce qu’elle peut faire. »
Entre 1980 et 2001, la proportion des êtres humains vivant dans la pauvreté est passée de 40 % à 21 %. Pourtant, conclut Mallaby, « tant que les pays du Nord oscilleront entre les exhortations et le mépris, il sera difficile à la Banque de devenir ce qu’elle devrait être : la meilleure source de prêts au développement et de conseils pour les plus démunis de la planète. »

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