Et nous, alors ?

Publié le 9 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

L’Afrique n’a pas été épargnée par les vagues destructrices dues au séisme du 26 décembre 2004. Bien que l’épicentre soit situé au large de l’île indonésienne de Sumatra, à plus de 7 000 kilomètres des côtes somaliennes, on dénombre dans ce pays sans État ni administration depuis une quinzaine d’années près de 300 morts, autant de disparus, et des dizaines de villages de pêcheurs entièrement dévastés. Au Kenya, un jeune homme de 20 ans a été emporté par l’océan en furie. Le premier séjour balnéaire a été fatal à ce mécanicien originaire de l’intérieur. En Tanzanie, une dizaine de personnes manquent à l’appel. L’Afrique du Sud déplore la mort d’une dizaine de ses ressortissants et la disparition de 985 autres, en Thaïlande et en Birmanie. Au large du continent, les Seychelles, Maurice et Madagascar en seront quittes avec une grande frayeur, quelques villages côtiers inondés et de lourds dégâts matériels.
Pourquoi les morts africains émeuvent-ils moins que les autres ?
Au vu de l’ampleur du bilan en Asie du Sud-Est et surtout des pertes en vies humaines parmi les nombreux touristes occidentaux, on pourrait comprendre que l’aspect africain du tsunami ait chichement intéressé les médias étrangers. Hormis l’assistance de quelques agences des Nations unies, les populations de Hafoun, de Bender Beyla et d’autres villages de pêcheurs du Puntland, région somalienne à la pointe de la Corne de l’Afrique, sont toujours livrées à elles-mêmes. À qui la faute ? Aux seigneurs de guerre somaliens, qui, malgré le cataclysme, poursuivaient leur activité favorite : s’entre-tuer, bloquant ainsi les convois du PAM ? Aux organisations panafricaines qui ont négligé de mettre sur pied la moindre structure d’évaluation de l’impact du séisme sur le continent ? Aux médias occidentaux qui se concentrent sur les malheurs de leurs compatriotes ? L’Afrique est certes un abonné permanent aux catastrophes humanitaires, pandémies et épidémies, déplacements massifs de populations, guerres civiles et autres génocides.
À l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan du raz-de-marée du 26 décembre dépasse les 150 000 morts. C’est énorme, mais cela ne représente que le bilan de 146 jours « d’activités ordinaires » des milices et factions en RD Congo, un conflit qui dure depuis 1998 et qui a coûté la vie à près de 4 millions de personnes, toutes ethnies confondues. Le tsunami a provoqué le déplacement de un million d’individus, loin des records battus de manière récurrente par l’Afrique. Le génocide au Rwanda ? Les centaines de milliers de victimes des mines en Angola ? La sécheresse au Sahel ? Toutes ces calamités n’ont à aucun moment intéressé simultanément les médias des deux hémisphères. Pas plus qu’elles n’ont laissé planer l’espoir d’une annulation, voire d’une réduction de la dette extérieure. Les dégâts matériels ? Les agences spécialisées ont évalué ceux provoqués par le tsunami à 10 milliards de dollars. Le 21 mai 2003, la région d’Alger et notamment sa zone industrielle ont été frappées par un tremblement de terre. Coût économique du séisme : 5 milliards de dollars. La communauté internationale avait manifesté une solidarité bien plus modeste qu’aujourd’hui.
À peine a-t-il endossé les habits de président en exercice du G8 que Tony Blair, le Premier ministre britannique, a souhaité, le 5 janvier, que le formidable élan de solidarité de la planète soit élargi à l’Afrique qui comptabilise quotidiennement des milliers de victimes dans l’indifférence générale. Mais doit-on en vouloir aux autres ? Il serait intéressant de savoir combien de fois le téléphone rouge de Thabo Mbeki a sonné pour recevoir les condoléances de ses pairs africains… En signant un chèque de 100 000 dollars au titre de la contribution de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré a précisé qu’il s’agissait d’une aide symbolique, mais son message, daté du 30 décembre, ne sollicite aucun secours pour les Africains touchés par le tsunami.
Quand cette situation changera-t-elle ? Peut-être le jour où les Africains seront convaincus que le sida, les conflits ethniques et les calamités naturelles ne sont ni un acharnement du sort ni une fatalité.

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