Aide : un téléthon planétaire

Les pays occidentaux font assaut de « générosité » et multiplient les promesses de dons. Que restera-t-il dans trois mois de cette diplomatie de la compassion ?

Publié le 9 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

Dans la mobilisation générale en faveur des pays victimes du tsunami, la réaction des responsables de Médecins sans frontières (MSF) a jeté un certain froid. « Nous suspendons la collecte de dons d’urgence pour l’Asie, a en effet indiqué, le 3 janvier, Pierre Salignon, le directeur général de l’organisation humanitaire. C’est la première fois que nous sommes amenés à prendre une telle décision, mais c’est une question d’honnêteté : nous ne voulons pas continuer à solliciter le public pour des actions qui sont déjà financées. » De fait, ayant déjà reçu plus de 40 millions d’euros, MSF dispose de moyens suffisants pour mener à bien ses opérations d’urgence et ses projets à moyen terme.
Ce coup d’éclat incite donc à se poser toute une série de questions. Pourquoi un tel élan de générosité ? Les sommes récoltées sont-elles trop importantes ? Que cherchent les donateurs, privés ou publics ? Pour tenter d’y répondre, un bref retour en arrière s’impose.
Le raz-de-marée a lieu le 26 décembre. Aussitôt, les Nations unies et les organisations humanitaires multiplient les appels à l’aide, relayés par les médias occidentaux avec une exceptionnelle ampleur. Un véritable déluge d’informations. Vidéos amateurs et témoignages de rescapés, tous plus poignants les uns que les autres, alimentent le feuilleton médiatique. L’Onu, qui, pendant les trois premiers jours, s’inquiète du manque de mobilisation des gouvernements, américain et français notamment, stigmatise la « pingrerie » des donateurs. Le nombre des victimes est constamment réévalué, l’actualité s’emballe.
En vacances à Marrakech, Jacques Chirac rentre à Paris pour adresser ses voeux à la nation, le 31 décembre. Il en profite pour clamer haut et fort le soutien de la France et met 40 millions d’euros sur la table. Les autres grandes puissances ne sont pas en reste. Une véritable « diplomatie de la compassion » se met en place, mise en scène par les médias avec le concours des politiques et du show business. Cette surenchère est alimentée par l’ONU, qui réclame plus de 2 milliards de dollars.
Chaque jour, la France, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne, l’Australie et les États-Unis revoient à la hausse le montant de leur contribution. Des divergences apparaissent sur la nature et la gestion de l’aide. Les États-Unis ne ratent pas l’occasion de critiquer les Nations unies, rappellent les dysfonctionnements du programme « Pétrole contre nourriture » en Irak et menacent de faire cavalier seul avec l’Australie en créant une agence spéciale pour la collecte et la distribution des fonds. Mais les Américains finissent par faire machine arrière et reconnaître le rôle prépondérant de l’ONU. Parallèlement, ils dépêchent une vingtaine de navires de guerre pour participer aux secours. Un excellent moyen de redorer leur image, singulièrement ternie actuellement dans le monde musulman. Londres, qui assure actuellement la présidence du G8, réclame pour sa part un moratoire sur la dette des pays touchés, tandis que Paris remet au goût du jour l’instauration d’une taxe sur les transactions boursières et suggère de créer une force internationale d’action rapide.
À l’autre bout du monde, la Chine entend faire la démonstration qu’elle est désormais une grande puissance et se montre généreuse : 63 millions de dollars de promesse de dons. Réplique immédiate du Japon, qui promet une enveloppe royale de 500 millions de dollars, histoire de rappeler aux pays asiatiques qu’il reste un partenaire de confiance. Et de contrecarrer l’influence grandissante de la Chine. Un véritable téléthon planétaire !
Les états-majors des ONG se frottent les mains… en attendant de voir, au-delà des effets d’annonce, quelles sommes seront effectivement versées par les donateurs. Et ils entreprennent de réfléchir à l’utilisation de cette aide.
En attendant, elles engrangent des dons et contributions individuelles d’un niveau qualifié d’« exceptionnel ». Les Français, par exemple, ont donné presque autant que leur gouvernement. Au total, les engagements publics et privés en provenance de ce pays s’élèvent à plus de 85 milliards. Ce qui est néanmoins très peu comparé à l’Allemagne qui pourrait débourser 650 millions d’euros, à l’Australie (500 millions de dollars) ou aux États-Unis (autour de 1 milliard de dollars).
Bien sûr, cette solidarité n’est pas politiquement désintéressée. Philippe Douste-Blazy, le ministre français de la Santé, s’est rendu en visite de solidarité de trente-six heures dans les hôpitaux du Sri Lanka. Les représentants de la communauté internationale, qui ont assisté, à Jakarta, le 7 janvier, à une conférence sur la coordination de l’aide, en ont profité pour visiter les zones sinistrées. Et pour s’exprimer devant les caméras. Le Premier ministre japonais Junichiro Koizumi, Colin Powell et le gouverneur Jeff Bush (le frère de), le président de la Banque mondiale James Wolfensohn ou encore le président de la Commission européenne José Manuel Barroso ont plus ou moins brillamment occupé la scène médiatique.
Les grands groupes privés se veulent, eux aussi, « solidaires », comme pour s’autodécerner un « label » d’entreprise citoyenne qui ne peut sûrement pas nuire à leurs affaires. Pfizer, la multinationale américaine de la santé, s’est racheté une conduite en accordant aux organisations humanitaires, le 29 décembre, 10 millions de dollars de dons et 25 millions de médicaments. Une semaine auparavant, on avait découvert qu’elle avait quelque peu traîné des pieds avant de retirer du marché son anti-inflammatoire Celebrex, qui augmente, semble-t-il, les risques cardio-vasculaires… Les banques et les assureurs, qui n’auront pas grand-chose à débourser en Asie, la plupart des sinistrés vivant en dehors des circuits financiers modernes, ouvrent également les portes de leurs coffres-forts. Et ont abondamment communiqué dans la presse.
L’engagement des stars de la chanson, des acteurs hollywoodiens et des sportifs de haut niveau – ce qu’il est convenu d’appeler les people – est total. Septuple champion du monde de formule 1, l’Allemand Michael Schumacher a versé 10 millions d’euros, tandis que Leonardo DiCaprio se montrait fort généreux avec la Thaïlande, où il a passé quatre mois, en 2000, pour le tournage du film La Plage. Les athlètes sont eux aussi dans les starting-blocks, beaucoup souhaitant se rendre en Asie pour aider les victimes. Des sportifs un peu désoeuvrés en cette période de trêve des grands championnats européens en profitent pour afficher leurs bons sentiments humanitaires. Plus insolite, un juge municipal du Tennessee a proposé à un contrevenant de payer une amende ou… de faire un don pour l’Asie.
Que restera-t-il de ce grand élan de compassion dans deux ou trois mois ? Pour le moment, les donateurs n’ont pas dépassé le stade des bonnes intentions, sauf dans le cas des aides d’urgence. Les mécanismes et la programmation des contributions financières à la reconstruction sont encore très flous. L’aide parviendra-t-elle effectivement à ceux qui en ont le plus besoin, quand les télés ne seront plus là pour témoigner de l’ampleur de la catastrophe et de la générosité des donateurs ? Rien n’est moins sûr. Les circuits de corruption asiatiques risquent d’en absorber une partie. C’est la règle du jeu, expliquent les responsables d’ONG.
« Nous ne savons pas très bien quel sera l’impact des événements en Asie sur la répartition géographique de l’aide française », avoue un responsable du ministère français des Affaires étrangères. On peut toutefois se montrer très inquiet. Ce que les donateurs donnent d’une main, ils ont tendance à le reprendre de l’autre. Ainsi, la mise en place du processus d’annulation des créances des « pays pauvres très endettés » se traduit, sur le terrain, par une baisse de l’« aide-projet ». « Nous avons besoin du soutien des donateurs pour d’autres crises, particulièrement au Darfour et en RD Congo », a précisé le directeur général de MSF, le 3 janvier. Après le tsunami, les Nations unies ont reçu plus de promesses d’engagement en Asie que pour les grandes crises qui secouent actuellement l’Afrique. Espérons que le « continent oublié » ne soit pas, encore une fois, le grand perdant de la distribution et de la mobilisation des aides à venir. Criquets, sida, conflits armés, déforestation… les défis ne manquent pourtant pas.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires