Sida : il faut donner aux femmes le pouvoir de se protéger

Le quotidien britannique The Independent a ouvert ses colonnes au très actif président de la Fondation Bill et Melinda Gates.

Publié le 8 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Dans une clinique antisida du Rwanda à laquelle je rendais visite l’été dernier, des infirmiers m’ont montré la photo d’un jeune homme maigre et maladif porteur du VIH. Pendant que je regardais la photo, un homme souriant et apparemment en parfaite santé est venu me saluer. Il m’a fallu une bonne minute pour m’apercevoir que c’était la même personne que j’avais sous les yeux.
Cet homme et beaucoup d’autres doivent leur vie au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et au Plan d’aide antisida du président Bush (Pepfar). Leurs programmes fournissent des antirétroviraux à plus d’un million de malades. Il faut s’appuyer sur les progrès déjà réalisés pour recueillir davantage de fonds, mettre au point des médicaments moins chers qui aient moins d’effets secondaires et concevoir des tests de dépistage plus pratiques.

Mais le progrès vers l’objectif du traitement universel ne dépend pas exclusivement d’une amélioration du traitement : il repose aussi sur une amélioration considérable de la prévention. Les mathématiques brutales de l’épidémie montrent pourquoi. Entre 2003 et 2005, le nombre de personnes sous traitement antirétroviral dans les pays à revenu faible et intermédiaire s’est accru d’une moyenne de 450 000 par an. Et pourtant, sur la même période, le nombre de personnes qui ont été infectées par le VIH a été en moyenne de 4,6 millions par an. Autrement dit, pour chaque personne qui commence à bénéficier d’un traitement aujourd’hui, dix autres auront besoin d’un traitement demain.
Les nouvelles infections ont des implications inquiétantes pour l’objectif du traitement universel. À l’heure actuelle, près de 40 millions de personnes vivent avec le VIH. Chez moins de 7 millions d’entre elles, la présence de lymphocytes T CD 4 est assez faible pour qu’elles aient besoin d’un traitement immédiat. Dans beaucoup de pays en développement, il faut compter une moyenne de 1 000 dollars pour soigner une personne pendant un an, ce qui signifie que le coût annuel du traitement universel aujourd’hui reviendrait en gros à 7 milliards de dollars. Pour donner une idée de ce que cela représente, rappelons que le Pepfar et le Fonds mondial affectent à eux deux moins de 2 milliards de dollars par an au traitement du sida.
Or ce nombre de 7 milliards n’est pas statique : il va augmenter – considérablement. Comme le traitement est efficace, il nous faudra de plus en plus d’argent, car de moins en moins de personnes mourront. Dans le même temps, de plus en plus de ceux qui vivent avec le VIH auront accès au traitement. Cela signifie que le nombre total de personnes qui auront besoin du traitement va rapidement doubler et tripler. Ce serait le cas même si nous pouvions empêcher toutes les nouvelles infections, mais la réalité est que plus de 4 millions de personnes sont infectées chaque année.
Si la communauté internationale n’a pas pu trouver 7 milliards de dollars pour assurer un traitement à tous ceux qui en ont besoin maintenant, comment trouvera-t-elle 14 milliards ou 21 milliards de dollars ou les 40 milliards dont certains pensent que nous aurons besoin vers 2020, pour financer le traitement universel ?
Les hypothèses les plus optimistes elles-mêmes le montrent à l’évidence : il n’existe purement et simplement pas de moyen réaliste de financer un traitement universel si nous ne faisons pas un bien meilleur travail de prévention.

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À l’heure actuelle, l’une des méthodes de prévention les plus pratiquées est le programme ABC (en anglais Abstain, Be Faithful, use Condom), autrement dit l’abstinence, la fidélité ou le préservatif. Cette méthode a permis de sauver bien des vies, mais pour beaucoup de ceux qui courent les plus grands risques d’infection, l’ABC a ses limites. L’abstinence n’est pas une option pour des femmes et des jeunes filles pauvres qui n’ont d’autre choix que de se marier très tôt. La fidélité ne protégera pas une femme dont le partenaire est infidèle. Et utiliser un préservatif n’est pas une décision qu’une femme peut prendre toute seule.
Ce n’est pas suffisant. Le taux d’infection par le VIH chez les femmes grimpe beaucoup plus vite que chez les hommes. Les femmes sont plus vulnérables que les hommes à cette infection – socialement, économiquement, physiologiquement -, et pourtant, les moyens de prévention dont nous disposons sont largement contrôlés par des hommes. Nous devons donner aux femmes le pouvoir de se protéger du VIH.
Il faut hâter la prochaine grande percée dans la lutte contre le sida : la découverte d’un microbicide ou d’un moyen de prévention oral que les femmes puissent utiliser pour bloquer la transmission du virus. Les microbicides sont des gels ou des crèmes que les femmes peuvent s’appliquer. Plus d’une douzaine de candidats microbicides font actuellement l’objet d’essais cliniques. Les premiers résultats pourraient être disponibles vers 2008. Autre éventualité prometteuse : l’utilisation d’antirétroviraux pour prévenir la transmission du VIH. Ces médicaments ont déjà permis de réduire le risque de contamination des bébés dont la mère est séropositive. Si nous pouvons prouver l’efficacité des microbicides et des médicaments préventifs, nous pourrons révolutionner la lutte contre le sida.
Mais la communauté mondiale n’a pas encouragé suffisamment cette recherche – et la remarque vaut aussi pour notre fondation. Tous ceux d’entre nous qui s’intéressent à ce problème auraient dû accorder plus d’attention à ces outils, mieux financer la recherche et faire davantage d’efforts pour faciliter des essais cliniques. Il faut maintenant rattraper le temps perdu. La Fondation Gates va continuer à investir dans la recherche sur les microbicides et les médicaments préventifs. Les gouvernements devront accorder une priorité dans leur budget à la recherche sur ces médicaments préventifs.

Les militants antisida devront jouer de leur influence pour réclamer davantage de recherche. Les grands laboratoires devront mettre leurs antirétroviraux à la disposition des chercheurs qui veulent tester leur capacité de prévention. Les chercheurs peuvent contribuer à tester les médicaments plus rapidement en imaginant de nouvelles procédures d’essais. L’OMS, l’Onusida et les autres organisations devront faciliter la mise au point de normes éthiques communes pour les essais cliniques afin qu’ils puissent commencer plus rapidement et se poursuivre sans interruption.
Les individus peuvent eux aussi avoir un immense impact. Ils peuvent peser sur leurs gouvernements pour qu’ils fassent davantage ; peser sur les entreprises pour qu’elles jouent un plus grand rôle ; et participer activement à la campagne Red.
Acheter un produit Red – du téléphone portable aux lunettes de soleil – permettra d’envoyer au Fonds mondial un pourcentage du prix d’achat. La campagne du Red allie le pouvoir du marché et la force de la conscience pour recueillir davantage d’argent afin de lutter contre le sida. Il faut en tirer le maximum.
Si les individus, les entreprises et les gouvernements font ce que nous attendons d’eux, nous pourrons accélérer la découverte d’outils qui bloqueront la transmission du VIH. Cet objectif mérite les plus grands efforts. Il pourrait très bien être un tournant dans le combat contre l’épidémie.

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