Le retour des imams islamistes

Publié le 8 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

Il y a encore quelques années, le ramadan faisait trembler les Algériens. Parce que les défunts Groupes islamiques armés (GIA), puis le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) mettaient à profit le mois sacré pour multiplier les massacres de villageois, les attentats à la voiture piégée et les assassinats ciblés. Les uns et les autres s’inspiraient en effet d’une théorie selon laquelle le djihad est une faridha makhfiya, un dogme religieux caché. Les « moudjahidine » étaient donc tenus de faire un effort guerrier supplémentaire pendant le mois sacré. Bref, d’amplifier les tueries pour démontrer leur piété.
Tout cela n’est plus qu’un affreux souvenir. Aujourd’hui, les appréhensions suscitées par le ramadan sont d’une autre nature : économique. La frénésie de consommation à laquelle il donne lieu porte en effet un coup fatal à l’équilibre entre l’offre et la demande. Du coup, l’évolution des prix échappe à toute rationalité. En dépit de l’abondance de la production agricole, les prix des fruits et des légumes ont connu une augmentation vertigineuse, dont les foyers les plus modestes sont évidemment les premières victimes. Et ce n’est certes pas la récente augmentation des salaires qui risque de contribuer à résorber l’inflation ! Toujours aussi râleur, l’Algérien moyen se plaint de « l’incivisme » des commerçants, mais ne se prive pas d’acheter au prix fort des produits hautement périssables qui finissent souvent, la nuit tombée, à la poubelle.
En théorie, un musulman est censé accomplir son travail quotidien avec davantage d’ardeur pendant le mois sacré. Dans la réalité, on en est très loin, si l’on en juge par le sensible ralentissement de l’activité, dans tous les domaines. Les cerveaux sont engourdis par le manque de sommeil et de nourriture. Les fumeurs frustrés souffrent et deviennent irritables. Résultat : on en vient aux mains pour une broutille, et les routes sont encore plus meurtrières que d’habitude.
Pourtant, l’effort de solidarité a rarement été aussi important. La prise en charge des plus démunis par les autorités est quasi totale. Dans les quartiers populaires des grandes villes, plus de cinq millions de « couffins du ramadan » seront distribués pendant toute la durée du mois. Grâce aux jeunes bénévoles, les centres pour personnes dans la détresse n’ont aucun problème de main-d’uvre et des associations de femmes au foyer fournissent gratuitement des repas aux voyageurs. Le créneau de l’activisme social a longtemps été monopolisé par les organisations islamistes, qui en ont retiré un bénéfice électoral considérable. Aujourd’hui, ils ne sont plus que des acteurs sociaux parmi beaucoup d’autres. Bien sûr, la fréquentation des mosquées grimpe en flèche, ce qui est sans doute la moindre des choses pendant le mois sacré. Lors des taraouih, la prière qui dure du coucher au lever du soleil, les bâtiments se révèlent souvent trop exigus pour accueillir tous les fidèles, contraints de s’agglutiner dans les rues avoisinantes. La circulation automobile en souffre et ne redevient normale que vers 22 heures.
L’Algérie compte environ dix-sept mille mosquées, donc autant d’imams et de prédicateurs. La politique de réconciliation nationale a entraîné la libération d’une foule d’islamistes radicaux, parmi lesquels plus de cinq cents imams, qui ont aussitôt été autorisés à regagner leurs mosquées et à prêcher la « véritable bonne parole ». Faut-il s’en inquiéter ? Les autorités expliquent que les imams libérés avaient été injustement condamnés. C’est la première fois qu’elles reconnaissent que des injustices ont eu lieu lors de la répression de l’insurrection islamiste, pendant la décennie noire. Avant d’être élargis, les imams auraient par ailleurs fait l’objet d’enquêtes « au cas par cas » de la part des services de sécurité – ceux-là même à qui un certain nombre d’injustices sont justement reprochées.
Une nouveauté, cette année : les causeries religieuses (darss) du soir, très suivies pendant le ramadan, ont été confiées non plus au ministère des Affaires religieuses mais à la Zaouia Hebriya, une confrérie religieuse dont le siège est à Oran. Celle-ci a fait appel à des théologiens venus de tout le monde musulman. C’est un revers pour les intégristes, les confréries religieuses algériennes étant d’obédience soufie, un courant mystique aux antipodes des salafistes ou des Frères musulmans.
Tout cela n’empêche pas la petite et grande délinquance de prospérer pendant le mois sacré. Le nombre des vols à la tire ou à la roulotte, des braquages et des agressions bat même tous les records. Au cours de la seule première semaine de ramadan, la gendarmerie a recensé plus de sept mille affaires.
Mais le ramadan est aussi un mois festif, marqué par d’innombrables concerts et spectacles en tout genre. « Pour moi, dans islam, il y a surtout slam », plaisante Rokia, une étudiante de Tiaret passionnée de cette forme de poésie urbaine proche du hip-hop. Le rap féminin ne concurrence pas encore les meddahates, ces chanteuses qui mêlent hard-raï et texte religieux, mais il est loin d’être marginal. À Alger, un festival est consacré aux jeunes musiciens. Tous les genres y sont représentés, du metal rock au gnawi en passant par le Raï’n’B. Chanteur au talent confirmé, Lotfi Double Kanon vient de sortir un CD au titre évocateur : Camisole. Il y décrit l’Algérie de Bouteflika avec une précision et une lucidité rares chez les chanteurs de rap.
Tout le monde n’ayant pas la chance de pouvoir sortir le soir – les femmes, notamment -, la télévision nationale a concocté une grille « spécial ramadan » à base d’humour (d’une efficacité, disons, inégale) et de feuilletons, religieux ou à l’eau de rose. La qualité assez affligeante des programmes proposés fait regretter la disparition du paysage audiovisuel algérien des bouquets numériques français TPS et Canalsat. Maudit soit l’inventeur du nouveau système de cryptage qui résiste au savoir-faire des pirates !

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