La révolte gronde

La politique pro-israélienne de la Maison Blanche a atteint ses limites. Et suscite de plus en plus les réserves des régimes arabes « modérés ».

Publié le 8 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Selon certaines informations, les dirigeants arabes chercheraient à organiser une réunion au sommet avec le président George W. Bush pour le persuader de changer de politique avant que l’incendie gagne la totalité du Moyen-Orient. C’est l’indication la plus évidente que l’absurdité de la politique de la Maison Blanche a atteint un niveau tel que même les régimes les plus proaméricains se sentent obligés de renoncer à leur prudence traditionnelle et lancent un cri d’alarme.
Bush acceptera-t-il les critiques et les conseils d’un conclave de dirigeants arabes ? La situation en Irak étant ce qu’elle est à l’approche des élections de la mi-mandat en novembre, il peut penser qu’il a mieux à faire que de rencontrer des Arabes, mais il ne peut pas ignorer les signes annonciateurs d’une rébellion générale contre sa politique. Le premier est la résistance opiniâtre à laquelle la secrétaire d’État Condoleezza Rice s’est heurtée dans sa tournée au Moyen-Orient de la semaine dernière. Elle a été partout accueillie fort courtoisement, mais derrière les politesses diplomatiques, le rejet a été à peu près total. Les Arabes jugent particulièrement inacceptables les efforts qu’elle déploie pour minimiser l’importance du conflit israélo-arabe et proposer une campagne de mobilisation des « modérés » de la région contre les « extrémistes », et plus particulièrement l’Iran. Une manière, à leurs yeux, de vouloir diviser pour régner.
Ce que les Arabes attendent prioritairement des Américains, c’est qu’ils donnent un coup de frein à l’agression israélienne, qu’ils mettent fin à l’expansion de l’État hébreu, qu’ils le persuadent de se retirer des territoires dont il s’est emparé en 1967, et qu’ils l’obligent à négocier avec ses voisins une paix juste et honorable qui permettrait l’émergence d’un État palestinien indépendant. Sur ce point, les « modérés » ne se distinguent pas des « extrémistes ». Mais il semblerait qu’espérer une telle initiative de la part du président Bush ne rime à rien. Il ne paraît pas avoir l’autorité ou une vision suffisante du problème pour franchir le pas. Son administration est paralysée par de profondes divergences. Les pro-israéliens acharnés, comme Elliott Abrams au Conseil de sécurité nationale, ne manqueront pas de saboter toutes les propositions du département d’État. Après la débâcle de la guerre du Liban, le gouvernement d’Ehoud Olmert, qui se bat pour sa survie, est incapable de faire le moindre geste en faveur de la paix.
Pendant ce temps, les colons nationalistes-religieux, enhardis par la crise, multiplient activement les établissements illégaux en territoire palestinien avec le soutien tacite de l’armée et du gouvernement. Il va sans dire que les États-Unis ne font rien pour arrêter cette activité pernicieuse, qui est le principal obstacle à une perspective de paix. Condoleezza Rice le sait, mais tout ce qu’elle a trouvé à proposer est d’atténuer, si peu que ce soit, l’asphyxie de Gaza en postant des observateurs internationaux au carrefour de Karni, qu’Israël bloque la plupart du temps. Avec un désastre politique et humanitaire de cette ampleur, de tels palliatifs sont totalement insuffisants.
Les objectifs de l’Amérique au Moyen-Orient sont soit inaccessibles, soit lourds de danger. Quels sont-ils ? Forcer l’Iran à renoncer à ses activités nucléaires sous la menace de sanctions ou d’attaques militaires ; renverser le gouvernement démocratiquement élu du Hamas en soutenant le plus souple président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas ; isoler la Syrie, présentée comme un fauteur de troubles invétéré ; et neutraliser le Hezbollah. À l’évidence, la poursuite de ces objectifs a donné exactement le contraire de ce que les États-Unis espéraient.
Rejetant le harcèlement américain, l’Iran est plus décidé que jamais à poursuivre son programme nucléaire en vue d’une utilisation, affirme-t-il, purement pacifique. Pour Olmert, c’est une « menace existentielle ». Il l’a répété sans vergogne à Condoleezza Rice : si les États-Unis ne font rien contre l’Iran, Israël n’aura d’autre choix que de prendre le relais ! À Gaza, le soutien apporté à Israël dans ses efforts pour détruire le Hamas – en assiégeant, affamant et bombardant la population civile au mépris de toutes les normes du droit humanitaire – a conduit à la dernière extrémité ce territoire surpeuplé et ravagé, où près de 90 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Quand Israël et les États-Unis comprendront-ils que les Palestiniens subissent une cruelle oppression et que plus on leur refusera leurs droits légitimes, plus ils seront poussés à bout, avec tout ce que cela signifie pour la sécurité future d’Israël et de son protecteur américain ? La Syrie et le Hezbollah, pour leur part, ne peuvent être ni isolés ni neutralisés. Ce sont des acteurs essentiels sur la scène du Moyen-Orient. Il ne peut y avoir de paix régionale sans la restitution du Golan à la Syrie. Au Liban, le Hezbollah est de loin la première force politique. Toute stratégie aveugle à ces réalités est vouée à l’échec.
Les menaces américaines d’imposer un « changement » de régime à Damas ou la funeste habitude des Israéliens d’assassiner leurs adversaires politiques – on parle ouvertement de la liquidation du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah -, ne peuvent remplacer le dialogue, le compromis et un vrai règlement du conflit.
Résoudre les conflits, et en particulier le conflit israélo-arabe, devrait être la priorité des priorités de l’Amérique, comme ne cessent de le répéter de nombreux dirigeants mondiaux, d’aujourd’hui et d’hier. Jusqu’ici, les États-Unis restent sourds à ces démarches. Bush et Rice évoquent la création d’un État palestinien, mais ne font rien. Il n’est pas douteux que l’on ne pourra pas faire grand-chose tant que les États-Unis n’auront pas retrouvé leur liberté de décision face à Israël et à ses puissants amis américains. Tant qu’Israël mènera le jeu, il n’y aura rien à espérer. Et pourtant, comme l’a dit plus d’un observateur israélien, cette mainmise sur la politique américaine au Moyen-Orient est loin d’être dans l’intérêt de l’État hébreu.
Il faudrait également que les États-Unis réclament d’Israël une réciprocité dans leurs relations avec les Palestiniens. On ne peut pas d’un côté exiger que le Hamas reconnaisse Israël, renonce à la violence et respecte tous les engagements précédents quand, de l’autre, Tel-Aviv refuse de reconnaître les droits politiques des Palestiniens, en tue tous les jours et viole tous les accords qui ont été signés. Autre point : il serait indispensable que le président Bush définisse précisément – et raisonnablement – les conditions d’un règlement global au Moyen-Orient – comme Bill Clinton a essayé de le faire, mais trop tard dans sa présidence – le tout soutenu par une véritable volonté politique et un apport financier. Mais la vraie question reste : l’Amérique peut-elle changer de politique ?

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