Ferveur et virées nocturnes

Publié le 8 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

Dès le coucher du soleil, les rues se vident, les rideaux se baissent, l’odeur de harira (la soupe marocaine) emplit l’air Quelques retardataires affolés se jettent sur le dernier taxi qui passe C’est l’heure de la rupture du jeûne (ftour). La sirène qui annonce la fin d’une journée de privations donne aussi le coup d’envoi d’une longue soirée.
Pour les plus croyants, le mois de ramadan se place sous le signe du recueillement, de la méditation et du pardon. Spécificité locale : depuis dix ans, des causeries religieuses présidées par le roi, Commandeur des Croyants (Amir el-Mouminine), sont retransmises en direct sur la RTM, la télévision nationale. Héritées d’une tradition séculaire, elles ont pour objet l’explication et la compréhension des phénomènes de société d’aujourd’hui à la lumière du Coran. Ces causeries « hassaniennes », du nom de leur initiateur, Hassan II, réunissent d’éminents spécialistes internationaux de la pensée musulmane. Pendant plus d’une heure, islamologues et imams indonésiens, chinois, américains, pakistanais, malaisiens, bosniaques ou sénégalais discutent dans la langue du Coran avec leurs collègues arabes de « l’équilibre écologique d’un point de vue islamique », de « l’islam et le développement global », des « sciences contemporaines et les secrets divins ». Bien sûr, ils s’interrogent aussi sur les maux de l’islam contemporain (« critique des thèses du terrorisme »).
Fait remarquable : Mohammed VI a cette année convié des femmes à participer aux discussions. Le Dr Rajae Naji Mekkaoui a par exemple animé une réflexion sur « l’universalité du statut de la famille dans un monde aux multiples spécificités », et sa collègue Aïcha Hajjami, professeur à la faculté du droit de Marrakech, sur « l’ijtihad (combat intérieur) dans la question féminine ». Ces causeries accordent par ailleurs une large place à la « question sociale ». On sait que c’est actuellement l’une des grandes préoccupations du royaume Le 2 octobre, sous la présidence de Mustapha Ben Hamza, le président du conseil des oulémas d’Oujda, il a ainsi été question du « fiqh [jurisprudence] social dans l’islam ». Pendant le mois sacré, la mosquée devient le lieu du débat par excellence.
À en croire le politologue Mohamed Tozy, la fréquentation record des lieux de culte ne s’explique pas par la montée des islamistes, mais par l’élévation du niveau de vie. Plus on s’enrichit, explique-t-il, plus on est en quête d’une « spiritualité rationalisée ». Elle serait satisfaite, toujours selon Tozy, par le respect d’un calendrier non pas religieux, rythmé par les prières, mais « standardisé », incluant tous les aspects du quotidien. Il est vrai que la vie économique et sociale s’adapte au rythme du jeûne.
Pendant ces trente jours, les Marocains travaillent en continu : pas de pause déjeuner ni d’activités professionnelles après 15 h 30. Dès que le citadin termine sa journée, il se dirige directement vers le marché du coin pour acheter de la nourriture à profusion. À l’heure du ftour, il s’adonne à quelques excès alimentaires en regardant la télévision. Au programme : séries « spécial ramadan », sketches comiques et caméras cachées. Il se rend ensuite à la mosquée pour la prière. Puis vient l’heure du divertissement. Les terrasses de café se remplissent, les soirées dansantes s’animent. L’institut français de Fès, par exemple, organise chaque année Les Belles Nuits du ramadan, des rencontres musicales et littéraires destinées à tous les publics. Pour les sorties en famille, les animations et festivals locaux, de même que les cafés en plein air, sont très prisés. Mais, bien entendu, les jeunes préfèrent des lieux nettement plus branchés. C’est l’heure où les dragueurs « ramadanesques » s’en donnent à cur joie. Contrairement au reste de l’année, les filles sont davantage libres de sortir le soir, jusqu’à des heures parfois tardives.
Bref, il est, dans le royaume, parfaitement possible de prier, puis de sortir et de s’amuser entre amis. Cette conception de l’islam « à la marocaine » est loin de faire l’unanimité dans d’autres pays arabes et/ou moyen-orientaux.

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