Embellie pour les diplômés-chômeurs

Depuis dix ans, ils réclament dans la rue un emploi correspondant à leurs compétences. Après accord avec le gouvernement, ils ont suspendu leur mouvement.

Publié le 8 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est un tournant dans l’interminable mouvement de protestation des diplômés-?chômeurs. Le 5 septembre, les services du Premier ministre et trois associations de défense parmi les plus virulentes (l’Union des cadres supérieurs au chômage, le groupe des docteurs Al-Amal et celui d’Al-Khoums) ont signé un accord qui met fin à « toute forme de protestation sur la voie publique ou devant les bâtiments et les administrations publiques ». En contrepartie, le gouvernement s’est engagé à aider les 865 militants dont les noms lui ont été fournis par les associations à trouver un emploi, dans le public ou le privé.
Depuis le temps – presque dix ans – qu’ils manifestent avenue Mohammed-V, à Rabat, devant le Parlement (quand ils ne s’enchaînent pas à ses grilles), les diplômés-chômeurs font partie du décor. La police estime à neuf cents le nombre des manifestants « réguliers ». Leur mouvement a parfois été durement réprimé. Au début de l’année, six d’entre eux se sont immolés par le feu, mais ont heureusement pu être sauvés.
« On ne donne pas leur chance à des gens qui, comme moi, viennent d’un milieu populaire, explique Nadia Soufiani, 37 ans, docteur en géologie et membre du groupe Al-Amal. Dans un pays en développement qui a le plus urgent besoin de personnel hautement qualifié, c’est grave. Les laboratoires se vident parce que les jeunes ne sont pas incités à faire de la recherche. Des pays comme le Canada recrutent des docteurs, et c’est tout bénéfice pour eux puisqu’ils n’ont pas investi dans leur formation. » « Nous avons fait de gros sacrifices pour notre éducation. Aujourd’hui, nous voulons travailler pour notre pays et avoir un emploi digne de ce nom », confirme Mohamed el-Azahi, de l’Union des cadres supérieurs au chômage.
Problème : l’attachement obstiné des diplômés-chômeurs au secteur public – attesté par l’un de leurs slogans, à la vérité assez surréaliste : « la fonction publique ou la mort » – complique singulièrement les choses. Depuis la crise des années 1980 et les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI, l’administration recrute beaucoup moins : 28 000 embauches par an au début des années 1980, 12 000 une décennie plus tard. Il y a vingt ans, le secteur privé était encore modeste et n’offrait que peu de perspectives d’embauches stables. Depuis, les choses ont quand même beaucoup changé.
Toutes les tentatives des gouvernements successifs pour résoudre le problème se sont soldées par un échec, qu’il s’agisse du programme d’embauches d’urgence lancé en 1991, de l’ouverture d’un fonds pour la promotion de l’emploi (1994) ou de l’engagement pris par le gouvernement d’Abderrahmane Youssoufi, en accord avec les associations, d’intégrer tous les diplômés-chômeurs à la fonction publique à l’horizon 2000. A priori, le nouvel accord met en place des solutions mieux adaptées au contexte économique, avec notamment un programme de formation en partenariat avec les établissements ou institutions les plus prestigieux du royaume, Al Akhawayn et l’ISCAE. L’intégration des diplômés se fera par étapes, jusqu’en septembre 2007. Le Premier ministre Driss Jettou transmettra la liste des heureux élus aux entreprises, aux différents offices publics ainsi qu’aux ministères. Ces derniers devront identifier avec précision le profil des collaborateurs dont ils ont besoin et, sur cette base, recruter prioritairement les personnes figurant sur la liste.
Reste la question de l’embauche dans le privé. Pour la première fois, les associations ont accepté le compromis proposé par les autorités. Les entreprises vont ainsi être incitées – par des exonérations de charges sociales, notamment – à recruter des diplômés-chômeurs. Par ailleurs, l’État financera un programme de formation-reconversion pour répondre aux besoins spécifiques du secteur. Et Driss Jettou va s’efforcer de mobiliser les responsables des grandes entreprises. Enfin, les diplômés-chômeurs désireux de créer leur propre entreprise pourront bénéficier de prêts avantageux et d’aides de l’État.
Conseiller auprès de la primature chargé du pôle social – et signataire de l’accord -, Driss Guerraoui estime que « les associations ont gagné en maturité », qu’elles ont « compris que les possibilités d’emploi dans la fonction publique sont limitées ». Grâce à l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, explique-t-il, « le privé est désormais mieux structuré et a réalisé de sensibles progrès concernant le niveau des salaires, le droit du travail et les possibilités de promotion ».
Est-ce pour autant la fin du mouvement ? Les autorités elles-mêmes restent prudentes. Ayant accepté de suspendre leurs actions pendant un an, les associations ne se sont pas autodissoutes pour autant, attendant de voir si les promesses seront tenues. Et puis, il y a tous ceux, très nombreux, qui ne figurent pas sur la fameuse liste prioritaire. Titulaire d’un DESA de droit public, Ahmed Badaoui, 37 ans, est dans ce cas, raison pour laquelle il a fondé une nouvelle association baptisée Al-Nasr, qui compte aujourd’hui environ deux cents adhérents. « Nous avons demandé à participer aux négociations pour que nos noms soient ajoutés à la liste, commente-t-il. Nous sommes en contact régulier avec Driss Guerraoui, qui a promis de nous faire bénéficier des mêmes avantages que les autres. Dans le cas contraire, nous sommes prêts à reprendre nos manifestations devant les ministères et la wilaya de Rabat. »

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