Viva Aldjéria

Publié le 8 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Le précédent film de Nadir Moknèche s’appelait Viva Laldjérie. Celui-ci aurait pu s’appeler « Viva Aldjéria ». Le réalisateur n’a pas hésité en effet à nommer ainsi l’héroïne de son nouveau long-métrage, lui attribuant comme pseudonyme le nom de son pays d’origine. On aura donc compris qu’à travers ce récit des aventures et mésaventures de Mme Aldjéria, femme d’Alger hors du commun, c’est encore un portrait de l’Algérie contemporaine telle qu’il la ressent et la voit que dresse le cinéaste.
Quand le film commence, Mme Aldjéria sort de prison, où elle vient de « payer sa dette » pendant trois ans de détention. Elle va nous raconter, par toute une série de flash-backs, comment elle en est arrivée là, sa fulgurante ascension économique et sociale s’étant terminée par une chute tout aussi retentissante. Mme Aldjéria exerçait dans la capitale de son pays avec un extraordinaire talent la profession très particulière d’entremetteuse capable de rendre service dans tous les domaines.
Vraiment dans tous les domaines : cette dynamique femme de caractère, dont la carte de visite dit qu’elle « arrange tout », et qui se considère elle-même comme « une bienfaitrice nationale », se fait fort, moyennant finances, de résoudre aussi bien les problèmes administratifs ou commerciaux que les affaires de cur ou de sexe de ses compatriotes. En toute illégalité bien sûr, avec l’aide d’un avocat véreux et de deux jeunes femmes, l’une (surnommée Shéhérazade) qui la seconde depuis longtemps et l’autre (Paloma) récemment recrutée, qui n’hésitent pas à payer de leur personne et parfois de leur corps pour satisfaire quand il le faut la clientèle masculine en jouant les « escortes ».
Mais si Mme Aldjéria pratique à tout-va le commerce le plus frauduleux, c’est pour amasser l’argent nécessaire à la réalisation de son vieux rêve, qui doit lui permettre de retrouver une vie honnête et lucrative à la fois : réhabiliter et gérer un vieux bâtiment situé dans un magnifique site en bord de mer, les thermes de Caracalla, du nom du conquérant romain qui accorda la citoyenneté romaine à tous les « hommes libres » de son Empire. C’est quand elle croira arriver enfin à ses fins, après avoir corrompu l’ancien ministre algérien des Droits de l’homme pour bénéficier seule de la « privatisation » de ce domaine possédé par l’État, qu’elle « tombera », pour avoir voulu s’attaquer à une affaire trop grosse pour elle.
Délice Paloma, ainsi, décrit l’Algérie contemporaine, celle de l’après-terrorisme, de façon très particulière à travers la visite de ses marges, y compris les plus sombres. Un pays qui connaît le malheur, qui pratique comme nul autre l’art des combines, mais qui survit à tout et ne manque jamais de courage. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant, le film n’est jamais glauque, et plus souvent comique que tragique. Il est surtout tendre et touchant, à l’image de ses personnages principaux, et en particulier de ces deux femmes jouées superbement par les deux actrices fétiches de Moknèche, la populaire Biyouna – parfaite en incarnant Mme Aldjéria – et la superbe Nadia Kaci (Shéhérazade). Un hymne à la liberté par un cinéaste qui, en l’espace de trois longs-métrages, a réussi à imposer un véritable style, fort et personnel. Il est peut-être exagéré d’évoquer déjà à son sujet, comme on le fait ici et là, des références prestigieuses comme Pasolini ou Almodovar. Mais il est légitime de le considérer comme le grand espoir d’un cinéma algérien qui tente de renaître après un long purgatoire.

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