Du malheur d’avoir un fils

Assassiné dans le parking de sa résidence parisienne, Brahim Déby Itno menait une vie chaotique. Ce qui exclut a priori la piste du meurtre politique.

Publié le 8 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Hadja Halimé Déby, première épouse du président tchadien, est à Paris depuis quelques mois. Elle est au chevet de son fils cadet, Adoum, victime d’un grave accident de la circulation, en décembre 2006, dans le sud de la France, où il était inscrit dans une école militaire. Adoum a perdu l’usage de ses membres inférieurs et sa mère veille personnellement au suivi de sa rééducation.
Le 2 juillet, aux premières heures de la matinée, elle reçoit un coup de fil anonyme : « Ton fils Brahim a été tué ce matin à Paris. » Elle croit qu’il s’agit d’un mauvais plaisantin. Son fils aîné, le colonel Brahim Déby, est à N’Djamena. Son père, Idriss Déby Itno, l’a quasiment assigné à résidence dans la capitale tchadienne depuis ses démêlés avec la justice française, qui l’a condamné, en juin 2006, à six mois de prison avec sursis en comparution immédiate pour port d’arme prohibée dans un lieu public et possession de drogue. Elle tente alors de joindre Moctar Wawa Dhahab, ambassadeur du Tchad à Paris. Sans succès. Elle décide de se rendre à la chancellerie. Quand elle pénètre dans son bureau, l’ambassadeur est au téléphone avec Idriss Déby Itno, qui se trouve à Accra. Il l’informe que son fils Brahim a été retrouvé assassiné dans le parking de son immeuble de la rue Baudin, à Courbevoie, proche banlieue de la capitale française. Le président tchadien est effondré. Pour la mère du jeune homme, le choc est trop rude : victime d’un malaise, elle sera évacuée en ambulance sur l’hôpital américain de Neuilly. Retour sur le parcours chaotique d’un enfant gâté.

Pour Idriss Déby Itno, 1980 est une année faste. Alors bras droit d’Hissein Habré, il mène avec succès une expédition militaire contre le président Goukouni Oueddeï et son gouvernement d’union nationale de transition (GUNT). Dans la foulée, son épouse Halimé lui donne un fils, qu’il appellera Brahim en hommage à son grand-père. Dix ans plus tard, Déby se retourne contre Hissein Habré et le chasse du pouvoir pour s’y installer durablement.
Brahim aura cette enfance propre aux rejetons des puissants. Des souffre-douleur pour compagnons de jeux, des courtisans prêts à satisfaire ses moindres caprices et un net penchant pour les armes à feu. Idriss Déby a de l’ambition pour son fils. Il lui impose une instruction militaire et tente de lui enseigner les rudiments de la gestion des affaires publiques. Mais Brahim se révèle incontrôlable. Fêtard invétéré, il préfère la vie nocturne et ses « gazelles » à la compagnie des précepteurs et autres instructeurs.

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Ayant compris que son fils a la gâchette trop facile, Idriss Déby l’envoie en formation dans une université de Montréal, d’où il revient avec un diplôme de management. Brahim réintègre le sérail, devient secrétaire particulier de son père. La tentation dynastique d’Idriss Déby Itno alimente toutes les rumeurs. Mais, diplômé ou pas, Brahim ne s’est toujours pas assagi. Ses frasques nocturnes à N’Djamena reprennent de plus belle. Pis : le jeune homme et ses gorilles terrorisent les noctambules qui se hasardent dans les rues de la capitale tchadienne, à la manière d’un Oudaï Hussein, fils du raïs irakien. Roulant carrosse, amateur de bonne chère et d’armes à feu, Brahim Déby a un droit de vie et de mort sur tous ceux dont il croise le chemin. Ses activités nocturnes étant peu compatibles avec les fonctions de secrétaire particulier du chef de l’État, Idriss Déby finit par prendre un autre secrétaire, mais accorde à son fils un statut de conseiller à la présidence.
Les nuits sont certes « chaudes » à N’Djamena, mais la capitale tchadienne n’offre pas suffisamment de sensations fortes à l’insatiable fêtard. D’autant que l’ambiance dans le palais présidentiel s’est nettement détériorée depuis qu’Idriss Déby a convolé en quatrièmes noces avec la belle et ambitieuse Hinda, en septembre 2005. Brahim s’installe à Paris, dans un appartement appartenant à ses parents. Berlines de luxe, euros en grosses coupures, filles faciles et Dolce vita. Ses démons vont le poursuivre dans la capitale française, où il n’est pas très indiqué d’aller en boîte de nuit un revolver en poche. À la suite d’une bagarre, la police intervient et trouve en sa possession une arme de poing. L’immunité diplomatique ne dispense pas Brahim d’un permis de port d’arme. Garde à vue, perquisition de son domicile, où l’on trouve quelques grammes de cocaïne et une demi-livre de cannabis. Jugé en comparution immédiate, il est condamné à six mois de prison avec sursis. Son père, furieux, lui retire son statut de conseiller et le rapatrie à N’Djamena avec l’interdiction absolue de se rendre à l’étranger. Il demande à l’ambassadeur de France de ne plus délivrer de visa à son rejeton et charge Moctar Wawa Dhahab de veiller à ce que Brahim ne mette plus les pieds à Paris. Le turbulent colonel lève le pied, du moins limite ses frasques aux seules boîtes de nuit de N’Djamena. Mais « Paname » lui manque.

En juin 2007, Brahim déjoue la vigilance des sbires de son père, se rend dans un pays voisin, embarque incognito dans un avion à destination d’une capitale européenne pour rejoindre Paris et ses folles nuits. Un voyage fatal qui s’achève en tragédie au bout d’une nuit d’ivresse. Le 2 juillet, au petit matin, Brahim Déby gare sa Mercedes dans le parking de son immeuble. Il est en compagnie d’une jeune femme d’origine maghrébine. Deux hommes encagoulés l’attendent. Ils laissent partir la jeune fille et agressent le colonel, qui tente de leur échapper. Ils le rattrapent et l’assomment d’un coup sur la tempe, puis l’asphyxient avec la neige carbonique d’un extincteur du parking, un mode opératoire plutôt inhabituel.
Pourquoi les agresseurs étaient-ils cagoulés ? Se savaient-ils filmés par des caméras de surveillance ? S’agit-il de connaissances du défunt ? L’enquête, menée par le célèbre juge français Philippe Courroye, du tribunal de Nanterre, devrait apporter rapidement des réponses. D’autant que la jeune femme qui accompagnait Brahim Déby a été retrouvée. Son témoignage devrait aider les limiers de la brigade criminelle à démêler l’écheveau de la vie dissolue du défunt.
Idriss Déby Itno, accablé par cette nouvelle épreuve, n’a pas interrompu sa participation au sommet d’Accra (voir pp. 48-55). En apprenant la mort de Brahim, il ne s’est absenté que durant les travaux de la séance matinale du 2 juillet, participant à la session de l’après-midi. Il a dépêché son Falcon 100 à N’Djamena, donné des instructions pour qu’une délégation se rende immédiatement à Paris. Le lendemain, un second avion, mis à sa disposition par le « Guide » de la Jamahiriya, Mouammar Kadhafi, s’est posé sur le tarmac d’un aérodrome militaire parisien pour rapatrier la dépouille de Brahim. Hadja Halimé, après une nuit à l’hôpital américain de Neuilly, est du voyage. Tout comme Abbas Tolli, cousin du défunt et ministre des Finances.

Pas de cérémonie officielle ni d’obsèques nationales, le président veut des funérailles strictement privées, réservées au seul clan des Itno. Cela représente une bonne moitié du sérail. Pour la circonstance, le chef de l’État tchadien a troqué son costume cravate habituel contre une simple tenue saharienne et un turban vert en guise de coiffe, le regard embué caché par des lunettes noires. Dans le deuil, Idriss Déby Itno a retrouvé ses allures de chef de guerre.
Kadhafi, sur le chemin du retour d’Accra, fait un détour par N’Djamena pour lui présenter ses condoléances. À un de ses pairs, qui l’a appelé au téléphone pour lui témoigner sa sympathie, et sans doute dans un moment de faiblesse, Idriss Déby Itno lâche dans un soupir : « Brahim devait se marier dans quelques mois »

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