Ce qui va changer

Les 10 et 11 juillet, Nicolas Sarkozy doit se rendre en Algérie, en Tunisie et (peut-être) au Maroc pour son premier voyage présidentiel dans la région. Au menu : émigration, sécurité et Union méditerranéenne.

Publié le 8 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

Le Maghreb serait-il un magasin de porcelaine ? Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de l’Élysée, son collaborateur Boris Boillon en charge à ses côtés du monde arabe (et ancien conseiller politique à l’ambassade de France en Algérie), mais aussi, sans nul doute, Nicolas Sarkozy lui-même et son directeur de cabinet Claude Guéant avaient mis autant de soin à préparer cette première tournée dans la région qu’une dentellière de Calais à réaliser son ouvrage. Presque à la minute près, si l’on en croit le programme officiel, le président français devait passer exactement le même temps, déjeuners compris, chez ses hôtes algériens et marocains, les premiers pouvant s’enorgueillir d’offrir l’accolade de bienvenue et les seconds se flatter de servir le thé final, sans que l’on puisse trancher avec certitude sur la préséance respective des deux étapes, histoire surtout de ne froisser personne. À ce petit jeu d’équilibriste, c’était en Tunisie, dont les relations avec les deux autres pays du Maghreb central ont l’avantage d’être bonnes, que Nicolas Sarkozy devait s’attarder le plus longtemps : dîner, petit déjeuner et, entre les deux, l’unique nuit étoilée de son premier voyage de chef d’État en terre maghrébine. Las. En décidant, le 4 juillet, d’annuler l’étape marocaine de cette tournée à laquelle il avait préalablement souscrit, puis en laissant la porte ouverte à son maintien par une négociation de dernière minute, bref en soufflant le chaud et le froid, le roi Mohammed VI a sans doute voulu rappeler à son hôte que la diplomatie n’était pas un jogging (voir pp. 60-61). Voyage au goût d’inachevé donc, mais voyage maintenu tout de même, tant le président français semble déterminé à faire passer son message.
Quarante-huit heures, les 10 et 11 juillet, afin de démontrer que, dans le domaine sensible des rapports entre la France et le Maghreb, une rupture tranquille est, aussi, à l’uvre : c’est peu, mais suffisant, pour insuffler un nouveau style. Nul doute que, sur ce point, les hôtes de Sarkozy sentiront la différence entre le nouveau président et son prédécesseur, Jacques Chirac. Du jogging matinal programmé à Tunis à l’hyperactivité tactile d’un homme pendu à son téléphone portable et finalement très méditerranéen dans son comportement, en passant par l’imprévisibilité, les surprises et la densité des discours, incontestablement, cela change de la répétitivité mécanique du chiraquisme en déplacement à l’étranger. Ce Sarkozy-là ne devrait guère avoir de mal à séduire au Maghreb, notamment chez les jeunes cadres très tournés vers l’économie-monde et férus de modernité. D’autant que l’une des thématiques fortes de ce voyage – le projet d’Union méditerranéenne (UM) – est une vraie nouveauté dans le discours présidentiel français. Certes, on peut déceler çà et là bien des arrière-pensées au creux de cette idée sarkozienne, lancée début février 2007 lors d’un meeting électoral à Toulon et plusieurs fois reprise depuis, y compris lors de l’allocution d’investiture du nouvel élu. Construit sur le modèle de l’Union européenne, avec Conseil de la Méditerranée, système de sécurité collective, espace judiciaire commun et Banque d’investissement, ce projet est aussi un moyen de réintégrer une Turquie ostracisée, de diluer une « politique arabe de la France » à laquelle Sarkozy n’a jamais cru et de corriger au passage sa propre image d’atlantiste fasciné par les États-Unis. Les sceptiques ajouteront que cette UM, version sud de l’UE, revient à changer d’instance beaucoup plus que de politique puisque, à bien y regarder, elle n’est que la continuation de l’actuelle « politique européenne de voisinage » et du traité Euromed, qui prévoit la mise en place d’un marché de libre-échange méditerranéen à partir de 2010. Mais c’est la volonté politique d’aller de l’avant qui change tout. Et cette volonté, Nicolas Sarkozy en est doté, indubitablement.

Reste que ces habits et ce langage neufs et séducteurs ne compensent pas encore, aux yeux de la « rue maghrébine », l’autre face de Nicolas Sarkozy et le côté sombre de la rupture qu’il préconise. Sur la colonisation, par exemple. Même si des considérations électoralistes locales – donc conjoncturelles – ont sans nul doute joué, trop de choses ont été dites par le candidat lors de ses discours de Toulon et de Nîmes en février et mai 2007 pour que le président ne s’en explique pas. La réhabilitation de « l’uvre » des colons, l’anticolonialisme ramené au rang de simple opinion, l’assimilation de toute réflexion critique sur cette époque à la manifestation d’une tendance française à l’autoflagellation et à la « haine de soi », le tout devant un public enthousiaste de rapatriés d’Afrique du Nord, cela choque, cela gêne et cela conforte l’opinion maghrébine dans l’idée – fausse sans doute, mais réelle – que Sarkozy, contrairement à Chirac, n’est pas « l’ami des Arabes ». D’autant plus que l’image du chef de l’État français, du côté sud de la Méditerranée, est étroitement associée à celle du ministre de l’Intérieur qu’il fut et, finalement, demeure, tant la politique de traitement policier de l’immigration conduite par son ami Brice Hortefeux est en réalité la sienne. À cet égard, une toute récente confidence de l’ambassadeur de France à Alger, Bernard Bajolet, évaluant à 350 000 le nombre d’Algériens en situation irrégulière dans l’Hexagone – soit autant de candidats à l’expulsion pour un gouvernement soucieux de remplir ses quotas en ce domaine – a fait l’effet d’une douche froide d’Annaba à Constantine.
Nicolas Sarkozy se rend donc au Maghreb précédé d’un fort sentiment de curiosité dû à la nouveauté et qui devrait assurer aux télévisions chargées de retransmettre ses faits et gestes un beau succès d’Audimat. Mais aussi avec, dans ses bagages, un vrai problème de perception. Comment y remédier ? Peut-être faudrait-il, entre autres, que le président français se démarque de son prédécesseur, dont le mutisme sur le sujet avait fini par être érigé au rang de théorie, sur un point particulièrement crucial : la défense et la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Pour le coup, et même si les dirigeants maghrébins sont en ce domaine particulièrement susceptibles, ce serait là une vraie rupture avec le passé.

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