Bush, la grâce et les gredins

Le président épargne deux ans et demi de prison à Lewis « Scooter » Libby, ancien directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney, condamné en juin pour faux témoignage et obstruction à la justice.

Publié le 8 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

George W. Bush a donc annulé, le 2 juillet, la peine de prison à laquelle avait été condamné Lewis « Scooter » Libby, ancien directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney. Libby, 56 ans, avait été reconnu coupable d’avoir menti au FBI dans « l’affaire Valerie Plame ». On se souvient que le mari de celle-ci, l’ancien ambassadeur Joseph Wilson, s’était attiré les foudres de l’équipe de Bush lorsqu’il l’avait accusée d’avoir manipulé les services de renseignements pour exagérer la menace représentée par Saddam Hussein. C’est en voulant jeter le discrédit sur Joseph Wilson que « Scooter » Libby avait révélé à des journalistes que sa femme travaillait pour la CIA. Après trois ans d’enquête, cette « fuite » tout à fait illégale avait valu à son auteur une condamnation à deux ans et demi d’emprisonnement pour faux témoignage et obstruction à la justice, le 5 juin dernier.

Dans un décret assorti d’explications minutieuses sur onze paragraphes, le président américain a déclaré que l’amende infligée à son ancien collaborateur – 250 000 dollars – serait maintenue, mais que les trente mois d’emprisonnement constituaient une peine trop sévère. On ne peut que trouver suspecte cette indulgence soudaine du locataire de la Maison Blanche. Combien de fois a-t-il utilisé son droit de grâce pour commuer des peines de mort lorsqu’il était gouverneur du Texas ? Exactement une fois. Dans le reste des cas (cent treize !), perdre la vie n’était jamais une peine trop sévère Il est vrai que ceux qui furent exécutés pendant son mandat n’étaient pour lui que des inconnus.
Et c’est là que le bât blesse. Hillary Clinton ne s’y est pas trompée qui a immédiatement réagi en dénonçant le « cronyism » – la politique des copains et des coquins, en somme. Vaine protestation : l’article II, section 2, clause 1 de la Constitution autorise le président des États-Unis à gracier qui il veut (sauf dans un seul cas : celui de l’impeachment). Personne ne peut s’y opposer. Pas même la Cour suprême ou le Congrès.
Les précédents ne manquent pas. Le 8 septembre 1974, Gerald Ford gracia Richard Nixon pour toutes les infractions que ce dernier avait pu commettre pendant sa présidence. Ford justifia sa décision par un argument inattendu – mais il faut se souvenir qu’il était aussi lawyer, capable des pires sophismes – selon lequel il aurait fallu de longues années avant que le prévenu Nixon puisse avoir un procès équitable. En effet, tout le monde aux États-Unis avait un avis sur la question du Watergate et il était donc extrêmement difficile de trouver des juges ou des jurés objectifs. Ces années de stress en attente du jugement auraient constitué une sorte de double peine Cela dit, la décision de Ford pouvait se justifier par une certaine conception de la raison d’État : le prestige de la présidence, à un moment où la guerre froide battait son plein, aurait pu être durablement terni par un procès.
Ce fut pour de tout autres raisons que Bill Clinton gracia l’homme d’affaires Marc Rich en janvier 2001, quelques heures avant la fin de son mandat de président. Pour apprécier la chose à sa juste mesure, il faut savoir que Marc Rich figurait sur la liste des dix fugitifs les plus activement recherchés par le gouvernement américain, gouvernement dont ledit Clinton était encore le chef Marc Rich était accusé d’escroquerie, de fraude fiscale et, plus grave encore, il avait violé l’embargo contre l’Iran. Mais c’était un ami de Bill et il était milliardaire : ceci explique peut-être cela. Bill Clinton gracia également quatre juifs ultraorthodoxes qui avaient détourné des millions de dollars d’argent public. Les quatre malfrats habitaient le village de New Square dans l’État de New York. Quelques années plus tard, New Square vota par 1 400 voix contre 12 – autant dire à l’unanimité – pour Hillary Clinton quand celle-ci se présenta aux élections sénatoriales. Beau renvoi d’ascenseur. Même si elle n’est pas responsable des décisions prises par son président de mari, Hillary pourrait quand même avoir aujourd’hui la décence de mettre une sourdine à sa vertueuse indignation

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Dans son arrêt Biddle v. Perovich, la Cour suprême avait estimé en 1927 que « le pardon n’est pas l’acte privé d’un individu qui se trouve détenir le pouvoir. Il fait partie du système constitutionnel et signifie que l’autorité suprême estime que l’intérêt général serait mieux servi si la peine était réduite ». La décision de Gerald Ford peut donc, dans une certaine mesure, s’interpréter dans ce sens. Mais celle de Clinton, non, et celle de Bush encore moins. Il s’agit donc du dévoiement d’une idée au fond assez simple et qui remonte à plusieurs siècles, au temps où le roi était de droit divin : la justice humaine n’étant pas parfaite, le souverain inspiré par Dieu disposait du droit de grâce justement pour pouvoir pallier les imperfections des hommes.
Au total, Ronald Reagan a prononcé 406 grâces durant ses deux mandats, Jimmy Carter 563, George Bush père 77 (dont 6 au bénéfice des responsables du scandale Iran-Contras) et Bill Clinton 459. George W. Bush, lui, en est à 118, loin, très loin du record toutes catégories détenu par Harry Truman : 2 031 en huit ans. La plupart de ces mesures concernent des cas ordinaires, tel l’effacement du casier judiciaire d’individus ayant purgé leur peine. Mais leur mise en uvre dans le cadre d’affaires aussi politiques, médiatiques et, pour tout dire, douteuses que l’« uraniumgate » est à la fois rare et mal vu par l’opinion américaine. Selon un sondage, 72 % des Américains étaient hostiles à une grâce de Lewis Libby, dont le numéro de matricule derrière les barreaux – 28301.016 – avait déjà été enregistré par l’administration pénitentiaire. Quant aux élus républicains, ils se sont faits très discrets. Pourquoi Bush est-il passé outre ? L’influence de Dick Cheney, sans doute, et un reste de vieille morale texane qui veut qu’on n’abandonne pas un porte-flingue menacé par la potence. Mais il y a autre chose. À un an et demi de la fin de son second et dernier mandat, l’hôte de la Maison Blanche se sent, relève le New York Times, comme un homme « libéré » qui n’a désormais plus guère à se soucier de l’opinion et à qui les sondages importent peu. De quoi inquiéter tous ceux avec qui il estime avoir des comptes à régler et, en premier lieu, les actuels dirigeants iraniens.

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