Métissage viscéral

Publié le 8 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Les signes sont imperceptibles, mais bien là, pour qui retourne au Cap-Vert après quelques années d’absence. Un peu plus de planches de windsurf et d’excursions en barcasses à touristes par-ci, un peu plus de cafés-concerts prétendument pittoresques, mais qui ne font qu’endosser la panoplie décorative de tous les bars du globe, par-là ; pas mal de jeunes en baggy jeans et quincaillerie rap ; quelques règlements de comptes sur fond de trafic de drogue, qui ne dépareraient pas les rues de New York. L’ère interplanétaire a débarqué sur cette poussière de terres, c’est incontestable. Mais que l’on se rassure : même à Sal, l’île la plus touristique, on est encore loin des « Macdonalderies » et autres facéties de GO du Club Med.
Si, de Stockholm à Hong Kong, on parle, on vit, on mange global, comment pourrait-il en être autrement de cette ex-colonie portugaise, pays de toutes les ouvertures ? Car cet archipel, c’est l’Afrique, mais en même temps pas tout à fait l’Afrique. Ce « petit pays », que chante la grande Cesaria, fait partie d’un autre continent, le « 6e continent », l’univers de la créolité, tout comme les Antilles ou le Brésil. Tombé dans ce shaker biologique, culturel et historique qu’improvisèrent les sociétés esclavagistes, il y a quelques siècles. La bigarrure infinie de ce « Tout-Monde », comme l’appelle l’écrivain martiniquais Édouard Glissant, s’est depuis enrichie du métissage d’un extramonde, constitué par une formidable diaspora, disséminée au Sénégal, au Portugal, en France, ou aux États-Unis. Le résultat, c’est qu’un Cap-Verdien, s’il aime profondément son pays, est aussi partout chez lui. Et à l’inverse, une chanson de Cesaria Evora, cette diva « passe-partout », attire un Russe ou un Argentin pas seulement pour son exotisme, mais parce qu’il y retrouve de subtils effluves de son terroir. De quelque pays que l’on vienne, on est un peu à la maison, au Cap-Vert. Allez vous promener sur les hauteurs verdoyantes de l’île de Santo Antão et vous aurez toutes les chances de croiser un, deux, dix gamins qui vous poseront la question : « Comment tu t’appelles ? »… en français !
Un point de détail, ce métissage viscéral ? Pas si sûr. Rappelez-vous, ce mois de février 2001. C’était le temps de l’élection présidentielle, dans ce bout du bout du monde. Et que se passa-t-il ? Le PAICV, en la personne de Pedro Pires, revint au pouvoir… avec seulement 17 voix d’avance ! Et personne ou presque, chez les opposants, ne contesta les résultats. Vous en connaissez beaucoup, vous, de pays africains où pareil scénario se produirait sans incidents ? Ici, pas d’ethnies, pas de structures claniques, pas de chefs coutumiers, source de suffrages « béni- oui-ouistes ». Juste one man, one vote ! Alors, pas de panique. Le dynamisme économique exceptionnel du Cap-Vert pourrait, certes, provoquer à l’avenir une sévère hémorragie d’authenticité. Mais à force de s’offrir, dès ses origines, à tous les vents des mélanges, qui sait si cette république insulaire n’est pas la mieux armée pour éviter les dégradations de la mondialisation ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires