Maroc : au-delà des casbahs…

Publié le 8 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Prendre un taxi à la sortie de l’aéroport de Marrakech réserve parfois des surprises : « Vous connaissez le tarif ? C’est 10 euros. » Quoi ? Euros ? Le dirham n’a plus cours ? « Si, mais moi, je prends que les euros et les touristes », me répond le chauffeur. Je claque la portière. Au suivant. Arrivée à destination, je paie le prix affiché au compteur, 20 dirhams (soit moins de deux euros). Si l’objectif du Maroc est d’accueillir 10 millions de touristes en 2010, il faudrait peut-être songer à réglementer les dessertes des aéroports et éviter aux voyageurs de se faire rouler dès leurs premiers pas dans « le plus beau pays du monde », dixit la publicité. Pour prendre la température de la ville, je m’installe non pas sur la fameuse place Jamaa el-Fna, mais dans un café, à Guéliz. Je choisis une terrasse au hasard, mais m’aperçois très vite qu’elle n’est fréquentée que par des sexagénaires européens en quête de chair fraîche, autrement dit de jolies brunes disposées à monnayer leurs charmes. Je siffle vite fait mon jus d’orange et me jure de quitter la Ville rouge demain dès l’aube.
Au petit matin, cap au sud, direction Ouarzazate. Savourer le paysage, vivante carte postale, qui se déroule sous mes yeux une fois le rideau de brume matinale levé. Palmiers, amandiers, figuiers de barbarie cèdent peu à peu la place aux montagnes dénudées. De temps en temps surgissent un homme et son âne ou des gamins en route vers une école-classe-unique, quelques kilomètres plus loin.

Pause dans le douar d’Ait Benamer, non loin de Taddert. Ici aucun car de touristes ne s’arrête, car point de casbahs et ni de vue panoramique. Juste une nuée de mômes pieds nus. Des enfants au regard grave. Pourquoi ne sont-ils pas à l’école ? « Le maître nous a dit jeudi de ne revenir que mardi »… Ô la belle ingéniosité de cet instituteur, inventeur de la semaine des quatre dimanches. « Au bout de plusieurs années de scolarisation, ils ne sont pas fichus de lire, sans parler d’écrire », me lance Lhussein, un des membres de l’association pour le développement d’Ait Benamer.
Lhussein m’invite à prendre le thé chez lui. Il me présente ses parents, sa femme, Aicha, et leurs deux filles. Aicha ne desserre pas les lèvres. J’apprends, en partant, qu’elle n’a plus de dents, à cause d’une maladie. Elle a à peine 30 ans et portera bientôt un dentier. Enfin, dès que son mari aura économisé suffisamment d’argent. Je quitte Ait Benamer et file vers le sud. Voici le col de Tiz n’Tichka (2 770 m). Les sommets sont enneigés, mais la vallée est aride. À 20 km de Ouarzazate, je bifurque vers l’est, cap sur Ait Ben Haddou. Il y a deux villages. Le plus ancien, pittoresque, bâti en pisé, est en voie de muséification. La ville nouvelle est née dans les années 1950, lorsque les habitants de la casbah sont partis en quête d’espace et d’un semblant de modernité. À midi, il n’y a pas un chat, à part une femme qui attend l’ouverture du dispensaire. Entre les deux Ait Ben Haddou, un oued, l’Assif Imerghen, que l’on traverse à dos d’âne ou de mule.

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Je me laisse accoster par un guide et j’écoute ce qu’il a (de vrai ou de faux) à dire sur l’ancien village et les films qui y sont régulièrement tournés, soit plus de trente longs-métrages dont Lawrence d’Arabie, Le Diamant du Nil et Gladiator. Au hasard des ruelles étroites, je croise Malika, 20 ans, une jeune fille loquace. Nos bavardages se poursuivent chez Fatima, qui vit dans l’une des six demeures habitées du vieux village. La soixantaine, elle ne parle pas beaucoup et se contente de nous servir le thé, des amandes et des noix en répondant « al-hamdou lilah » (à la grâce de Dieu) à toutes mes questions. Malika ne l’approuve pas. Ex-bonne à tout faire, à peine alphabétisée, Malika en a assez d’être l’esclave des autres et rêve de devenir femme de chambre dans l’un des dix hôtels du nouveau Ait Ben Haddou. Bientôt, nous sommes environnées d’une nuit d’encre. Dans la casbah, la fée électricité n’a toujours pas fait son apparition.
Mais une fois de l’autre côté de l’oued, que faire pour se distraire ? Rien, si ce n’est contempler les étoiles, écouter ceux qui habitent ce village du bout du monde et, le lendemain, quitter Ait Ben Haddou avec le sentiment d’avoir goûté au plus délicieux des ennuis.

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