Casimir Oyé Mba

Candidat à la présidence de la Banque africaine de développement, le Gabonais dispose de deux atouts majeurs : une excellente connaissance du métier et une longue expérience politique.

Publié le 8 mai 2005 Lecture : 13 minutes.

S’il venait à être élu, le 18 mai prochain à Abuja, président de la Banque africaine de développement (BAD), le Gabonais Casimir Oyé Mba serait sinon en terrain de prédilection, du moins de connaissance. Le ministre d’État chargé de la Planification et de la Programmation du développement est entré très tôt dans la banque. Pas la BAD, mais la Banque centrale des États de l’Afrique équatoriale et du Cameroun (BCEAEC), qui deviendra plus tard la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Il y arrive en 1967, y gravit tous les échelons, parvient – c’est le premier ressortissant d’Afrique francophone nommé à ce poste – à en devenir le gouverneur en 1978, et le reste jusqu’en 1990. Commence alors pour le natif de Nzamaligué, une localité proche de Libreville, la capitale, une longue période de reprise en main de l’institution. Douze ans de réformes au cours desquels il mettra en place une politique de formation et, surtout, réunira les conditions de l’adhésion, en 1985, de la Guinée équatoriale.
« La banque, aime-t-il à répéter encore aujourd’hui, c’est mon métier. » Et, dans sa bouche, le propos n’est pas un simple slogan de campagne. Après des études secondaires au collège Bessieux de Libreville, puis un cursus de droit à Rennes et à Paris couronné par un doctorat, Oyé Mba obtiendra un diplôme du Centre d’études financières, économiques et bancaires (Cefeb). Un profil de technicien de l’économie façon Banque mondiale ou Fonds monétaire international. Au point d’apparaître, au lendemain de la Conférence nationale de mars-avril 1990, qui marque le retour du pays au pluralisme politique et décide de la constitution d’un gouvernement de transition jusqu’aux élections législatives multipartites de septembre-octobre de la même année, comme le candidat idéal au poste de Premier ministre « intérimaire ».
Pour le président Omar Bongo Ondimba, il est l’homme de cette période tampon. Le voilà donc chef du gouvernement dès avril 1990 et, dans la foulée, élu député, en octobre. Sa tâche : mettre en place l’architecture institutionnelle qui doit précisément accompagner la renaissance à la démocratie ainsi que le retour du Gabon dans les bonnes grâces des bailleurs de fonds internationaux. Il est maintenu à la tête de quatre gouvernements successifs, et son bail à la primature ne prend fin qu’en octobre 1994, avec la signature des accords de Paris, qui consacrent une redistribution des rôles dans le paysage politique. Il devient chef de la diplomatie dans l’équipe de son successeur, Paulin Obame Nguéma, et ne quittera plus la table du Conseil des ministres. Après cinq ans au ministère des Affaires étrangères, il hérite du département de la Planification et de la Programmation du développement, qu’il occupe toujours.
Après celle acquise à la BEAC, cette longue expérience de gestion gouvernementale ne lui sera sans doute pas inutile s’il succède au Marocain Omar Kabbaj à la tête de la BAD. La familiarité des questions politiques, non plus : Oyé Mba est un élu national (député) et local (conseiller municipal de la ville de Ntoum, à une quarantaine de kilomètres de Libreville). Il connaît les dossiers économiques qu’il a l’habitude de confronter aux réalités du terrain. Et ses amis n’hésitent pas à assurer que, « des candidats à la présidence de la BAD, Casimir Oyé Mba est le seul à avoir déjà dirigé une banque inter-États, le seul à afficher une longue et grande expérience politique ». Ce qui, à leurs yeux, constitue autant d’atouts. Outre, bien sûr, celui d’être ressortissant d’Afrique centrale, la seule des cinq sous-régions à n’avoir jamais occupé le fauteuil de président de la BAD. Entretien.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Pourquoi êtes-vous candidat à la présidence de la BAD ?
Casimir Oyé Mba : Ce n’est pas moi qui ai pris l’initiative d’être candidat, c’est le président Omar Bongo Ondimba qui a décidé de présenter la candidature du Gabon. Et pour faire cette course, il a choisi un cheval qui s’appelle Casimir Oyé Mba.
J.A.I. : Pourquoi le président Bongo a-t-il décidé de présenter la candidature du Gabon ?
C.O.M. : Il ne m’a pas dit pourquoi, il m’a demandé de courir… Le jour où vous le verrez, vous le lui demanderez. Mais je vais essayer d’interpréter. Le président Omar Bongo Ondimba pense que tous les pays africains doivent pouvoir prendre une part directe et active à la gestion des institutions panafricaines, qu’elles soient politiques, économiques ou autres.
J.A.I. : Tous les chefs d’État pensent comme lui…
C.O.M. : Vous savez que le président Bongo Ondimba est extrêmement attentif à tout ce qui se passe sur le continent. Son intérêt pour la BAD ne date pas d’aujourd’hui. Il est constant depuis la création de la Banque en 1964. Il s’est manifesté notamment à deux moments importants dans la vie de la BAD. La première fois, à l’occasion du fameux débat sur l’ouverture du capital aux pays non régionaux ou le maintien d’un actionnariat uniquement africain. C’était un grand débat.
J.A.I. : Un débat qui avait divisé l’Afrique…
C.O.M. : Le président Bongo Ondimba était de ceux qui pensaient qu’il fallait ouvrir le capital. Et le oui a fini par l’emporter lors de l’assemblée générale de la Banque qu’il a convoquée à Libreville en 1978. Si la BAD se porte bien aujourd’hui, c’est grâce à cette décision historique.
J.A.I. : Et la deuxième fois ?
C.O.M. : C’était début juillet 1996. La BAD connaissait alors quelques gros problèmes financiers, dus notamment à l’accumulation des arriérés et à l’insuffisance de son capital. Sa crédibilité en était affectée. Le président Bongo Ondimba a pris alors l’initiative d’inviter les chefs d’État africains à Libreville pour examiner ces problèmes et leur trouver des solutions. C’était une première depuis la création de la Banque. Et ce fut une réussite.
J.A.I. : Cela n’explique toujours pas le pourquoi de votre candidature…
C.O.M. : Outre ce que j’ai dit précédemment, il y a un argument qu’on ne peut pas occulter. L’Afrique compte cinq sous-régions. Toutes sauf une ont occupé le poste de président de la BAD, l’Afrique du Nord l’a eu à deux reprises (Tunisie, Maroc), de même que l’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Ghana) et l’Afrique australe (Zambie et Malawi, même si c’est à titre intérimaire pour ce dernier). L’Afrique de l’Est l’a eu une seule fois (Soudan), et l’Afrique centrale, jamais !
J.A.I. : L’Afrique centrale a-t-elle jamais brigué ce poste ?
C.O.M. : Non, jamais. Les journaux ont raconté, en 1995, que j’étais candidat. J’étais alors ministre des Affaires étrangères. Mais je ne sais pas où cette information a été pêchée. Le président du Gabon estime donc que c’est le tour de l’Afrique centrale, sous réserve qu’elle présente des candidats qui tiennent la route et qui correspondent au profil recherché. Il ne voit pas pourquoi cette sous-région devrait être écartée de la présidence de la BAD.
J.A.I. : Pour l’élection du 18 mai prochain à Abuja, il y aura deux représentants de l’Afrique centrale, le candidat du Cameroun et vous-même. Si vous étiez élu, quelle serait votre profession de foi ?
C.O.M. : Si je gagne la course, je m’attacherai à deux principaux objectifs. Le premier consistera pour moi à maintenir la solidité financière de l’institution. La BAD n’est pas une organisation philanthropique. Elle emprunte de l’argent pour le prêter aux pays africains, qui doivent le rembourser selon les modalités convenues. Il y va de la crédibilité de la Banque auprès de ses actionnaires et des marchés financiers internationaux. Elle est actuellement à son plus haut niveau, un triple A. C’est excellent pour elle et pour les pays africains.
J.A.I. : Et c’est bon pour le président qui va être élu…
C.O.M. : Je vois où vous voulez en venir [éclats de rire]. C’est effectivement le lieu de dire que monsieur Omar Kabbaj, qui a récupéré la Banque dans une situation nettement moins reluisante, en 1995, a fait du bon travail.
J.A.I. : Quel est votre deuxième engagement ?
C.O.M. : La BAD est une banque de développement, j’insiste sur ce mot, qui signifie un tas de choses. On peut en parler pendant des heures. Je vais essayer de me résumer. Pour moi, la Banque doit être présente dans tout ce qui concourt, de près ou de loin, au développement des pays africains pris individuellement ou collectivement.
J.A.I. : Elle doit être une banque à tout faire…
C.O.M. : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. La BAD doit apporter son financement à tout ce qui peut contribuer au développement africain. Prenons les routes, les aéroports, les réseaux de télécommunications… Oui, la BAD doit être active dans le secteur des infrastructures. De même que dans celui de la formation et de l’éducation. Il n’y a pas de développement avec des populations incultes.
J.A.I. : Si on vous suit, la Banque devrait prendre la place des États.
C.O.M. : Non, il ne s’agit pas de faire les choses à la place des États. La décision de bitumer telle ou telle route dans tel ou tel village n’est pas du ressort de la BAD, mais de celui des gouvernements. La Banque doit mettre des prêts à leur disposition.
J.A.I. : Dans cette perspective, elle aura besoin de dix ou vingt fois plus de capitaux qu’aujourd’hui.
C.O.M. : À elle de les chercher. Mais laissez-moi poursuivre mon raisonnement. Je parlais de l’éducation. Cela ne veut pas dire que la Banque va enseigner dans les écoles. Si un pays décide de créer une institution de formation et qu’il sollicite la Banque, il ne doit pas se heurter à un refus. Il en est de même pour la santé. Pour participer au développement, pour être productif, il faut être en bonne santé. Par conséquent, la BAD doit pouvoir apporter aux pays africains qui le souhaitent les financements nécessaires dans le secteur de la santé.
J.A.I. : Vous êtes en train d’enfoncer des portes ouvertes. La BAD finance déjà tous ces secteurs. Où voulez-vous en venir ?
C.O.M. : Non, je n’enfonce pas des portes ouvertes. Je pense que la Banque ne fait pas assez et qu’elle peut faire davantage dans tout ce qui peut concourir au développement africain. Malheureusement, il n’y a pas un seul secteur qu’on puisse laisser de côté. Certes, la Banque ne peut pas tout faire toute seule, mais je crois qu’elle peut devenir le chef de file des projets africains, jouer un rôle de catalyseur.
J.A.I. : Quel est le rôle, selon vous, du secteur privé ?
C.O.M. : Il est avéré maintenant que le secteur privé produit plus facilement et mieux que le secteur étatique. L’émergence d’un secteur privé africain performant doit donc bénéficier de l’encouragement de la BAD. Celle-ci doit mettre à la disposition des entreprises privées nationales ou étrangères travaillant en Afrique les financements leur permettant de s’épanouir et d’étendre leurs activités.
J.A.I. : Vous incluez les entreprises étrangères…
C.O.M. : Dans plusieurs pays africains, le secteur privé national est encore balbutiant. Je pense que les entreprises de droit africain et dont le capital appartient en majorité à des étrangers peuvent solliciter la BAD pour des projets cadrant avec la politique générale du pays où elles exercent. La BAD doit pouvoir encourager ces initiatives. Le développement n’est pas une question de passeport. L’essentiel est que l’entreprise contribue à améliorer les capacités productives des pays africains concernés. Il ne s’agit pas du tout de prêter de l’argent à des canards boiteux. Il s’agit d’aider le secteur privé qui fait preuve de dynamisme et qui est, évidemment, capable de rembourser.
J.A.I. : On revient à la question des ressources. La BAD pourrait augmenter ses opérations de plusieurs milliards de dollars si elle ouvrait davantage son capital aux pays non régionaux. C’est en effet leur part qui sert à garantir les emprunts sur les marchés financiers. Le Gabon y était favorable en 1978. Aujourd’hui, seriez-vous partisan de leur donner une part plus grande, par exemple 49 % au lieu de 40 % ?
C.O.M. : Je ne veux pas me prononcer là- dessus. Le problème des ressources, je l’analyse différemment. La BAD doit être à tout moment dans une situation telle qu’elle bénéficie de la confiance de ses actionnaires. Elle doit chercher les moyens lui permettant d’élargir son assise financière de façon à être le plus séduisante possible pour les marchés auprès desquels elle emprunte. Mais si demain les gouverneurs de la Banque décident que la part des États non régionaux passe de 40 % à 45 % ou 49 % du capital, je n’en ferai pas une maladie.
J.A.I. : La Banque, c’est aussi un instrument de coopération interafricaine. Quelle est votre vision dans ce domaine ?
C.O.M. : L’intégration, c’est dans l’air du temps. Si les grands pays éprouvent le besoin d’être ensemble, a fortiori les pays africains. Étant originaire d’un petit pays, je ressens davantage que les autres la nécessité de l’intégration. Tout projet élaboré par deux ou plusieurs pays africains devrait retenir l’attention de la Banque.
J.A.I. : Autre problème dans l’air du temps, celui de la parité hommes-femmes. Que préconisez-vous ?
C.O.M. : Je ne suis pas un « Women’s Lib », je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut donner une fonction ou une promotion à une femme simplement parce qu’elle est une femme. Cela dit, on ne doit fermer aucune porte à une femme. Dès lors qu’elle est compétente, on doit lui faire confiance. Dans son management comme dans ses projets, la BAD doit faire tout ce qu’elle peut pour promouvoir la femme africaine, non seulement pour des considérations philosophiques, mais aussi économiques. Les femmes représentent la moitié de la population. C’est stupide de les laisser en dehors du processus du développement.
J.A.I. : L’environnement est-il un luxe pour l’Afrique ?
C.O.M. : Non, pas du tout. Je reviens justement de Tokyo. Là-bas, les gens se promènent avec des masques. On n’en est pas encore là en Afrique. Mais ce n’est pas une raison pour que l’environnement ne préoccupe pas le futur président de la Banque. Les pays africains sont moins affectés que les autres, mais la BAD devrait être très attentive. Ses projets doivent préserver l’environnement, l’air, l’eau et la nature. Par son action, la BAD pourrait aussi aider les pays africains à développer leur potentiel écologique et à exploiter leurs multiples parcs naturels.
J.A.I. : Dans votre programme, qu’est-ce qui vous tient le plus à coeur ?
C.O.M. : Je voudrais que la Banque devienne une sorte de think-tank, un centre de référence de la pensée et de la recherche économique en Afrique. J’ai voyagé dans beaucoup de pays. Ce qui me frappe, c’est qu’un investisseur étranger me dise qu’il s’intéresse à l’Afrique, mais que le premier chemin qu’il prend pour chercher les informations, c’est Paris, Londres ou Washington. Je voudrais qu’il se dise un jour, « tiens, je vais aller à la BAD ». L’Afrique a aujourd’hui des économistes et d’autres gens bien formés. J’imagine une BAD leur offrant une sorte de cénacle, une BAD jouant un rôle d’animateur, une BAD organisant, à l’instar du Forum de Davos, un forum économique africain, une BAD distribuant un prix africain de l’économie, une BAD montrant au monde entier qu’il existe enfin des Africains de haut niveau capables de réfléchir, de proposer, de créer.
J.A.I. : Vous avez été gouverneur pendant douze ans de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Que retenez-vous de votre bilan ?
C.O.M. : D’abord, j’ai doté la BEAC d’un centre de formation. C’est une chose importante à mes yeux parce que je considère que ce sont les hommes qui font marcher les choses. Ensuite, j’ai négocié et réussi l’intégration de la Guinée équatoriale au sein de la BEAC et donc de la zone franc. J’ai le sentiment d’avoir travaillé vraiment pour le futur de l’Afrique.
J.A.I. : Si vous étiez élu à la tête de la BAD, quelle serait votre préoccupation première, la Banque ou le Gabon ?
C.O.M. : C’est un faux problème. On n’a jamais demandé à la personnalité élue de se dépouiller de sa nationalité. Je suis gabonais et c’est en tant que tel que je me présente à la Banque. Si j’étais élu, je resterais gabonais. Mais dans l’exercice de mes fonctions, ma préoccupation, mon souci, mon horizon, c’est le continent africain, et pas seulement le Gabon. Je ne vois pas pourquoi quelque chose qui serait bon pour le Gabon, le Malawi ou la Tunisie serait forcément mauvais pour la BAD ou pour l’Afrique. Pour moi, le président de la Banque est au service de l’ensemble du continent de manière stricte, neutre, tout en étant engagé.
J.A.I. : La Banque siège provisoirement à Tunis. Certains actionnaires et non des moindres, les États-Unis, pour ne pas les nommer, envisagent le déplacement du siège permanent de la Banque dans un pays africain subsaharien stable. Que répondez-vous ?
C.O.M. : Les pays africains qui ont fondé la Banque en 1964 ont fixé le siège permanent officiel à Abidjan. La situation en Côte d’Ivoire a amené la Banque à se délocaliser temporairement à Tunis en 2003. On en est là. Cela dit, nous souhaitons tous que la Côte d’Ivoire retrouve la paix le plus vite possible.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires