Alors, c’est non ou c’est oui ?

Publié le 8 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Ils portent toujours beau et s’efforcent d’expliquer, comme ils peuvent, les variations de l’opinion telles qu’ils l’enregistrent. Il n’empêche : en France, les instituts de sondage jouent, dans la campagne pour le référendum du 29 mai sur la Constitution européenne, une large part de leur crédibilité. Car voilà qu’après vingt-trois sondages consécutifs donnant le non vainqueur, le oui a soudainement le vent en poupe : plusieurs enquêtes révèlent qu’il a désormais la préférence d’une majorité de Français. Jamais dans le passé on n’avait assisté à une aussi spectaculaire inversion de tendance.
L’interprétation de ce revirement est délicate. Sans doute faut-il y voir la conséquence de l’entrée en campagne de plusieurs poids lourds dont l’engagement proeuropéen ne saurait être mis en doute : Jacques Chirac, Lionel Jospin, Simone Veil, Michel Rocard, Pierre Mauroy et Jacques Delors ont tous répété que dire non à la Constitution revenait à dire non à l’Europe. Intervenant à la télévision pour la deuxième fois de la campagne, le président de la République est allé encore plus loin : « On ne peut pas être européen et voter non », a-t-il dit.
Sans doute faut-il y voir aussi un réflexe légitimiste : sauf à imaginer une révolte générale du peuple contre les élites, on voit mal l’opinion braver jusqu’au bout l’establishment au grand complet – ou presque. Hommes politiques, chefs d’entreprise, responsables syndicaux et représentants des grands médias sont en effet très largement favorables au oui.
Cette contre-attaque n’est pas seulement verbale. Elle est appuyée par une distribution de « cadeaux » à toute une série de catégories socioprofessionnelles. Les principales revendications des fonctionnaires, des agriculteurs, des pêcheurs, des viticulteurs, des médecins urgentistes et même des chasseurs ont ainsi été partiellement satisfaites. Dans le même temps, des projets susceptibles de renforcer le camp du non, telles la hausse du prix du gaz ou l’ouverture du capital de Gaz de France, ont été repoussés à des jours meilleurs – après le référendum. Et Bruxelles est disposé à autoriser la baisse de la TVA dans la restauration, une revendication qui empoisonne depuis plusieurs années le climat entre les professionnels et le gouvernement. Au total, le coût des mesures destinées à endiguer la montée du non avoisinerait 400 millions d’euros. C’est dire l’âpreté de la bataille… Le camp du non n’avait d’ailleurs pas procédé différemment : lui aussi s’était appuyé sur les péripéties de l’actualité – la fameuse directive Bolkenstein, par exemple – pour nourrir son argumentaire. C’est dire aussi que le suspense demeure et que rien n’est joué.
D’autant que l’un des leaders du non, l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, jusque-là très discret, s’est enfin décidé à se lancer dans la bagarre, en particulier à la radio et à la télévision. C’est d’autant plus nécessaire, de son point de vue, que le non recule dans l’électorat socialiste : d’un sondage à l’autre, le oui y a progressé de onze points ! Fabius s’efforce donc de dédramatiser les conséquences d’une éventuelle victoire du non et, surtout, de se positionner dans la perspective de l’après-référendum, quel qu’en soit le résultat.
Tous les hommes politiques, de droite comme de gauche, sont d’ailleurs dans le même cas. Aucun n’acceptera de le reconnaître, mais tous échafaudent déjà des scénarios post-référendaires. Lors de sa dernière intervention télévisée, Chirac s’est pour sa part borné à déclarer que « la vie politique a ses rythmes, ses exigences et ses modes » et qu’il n’a « pas l’intention de mélanger ». Une manière de ne pas dire s’il envisage un changement de gouvernement après le 29 mai.
Pour François Hollande, le premier secrétaire du PS, l’affaire est, en revanche, entendue : le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin « succombera » au lendemain du référendum. Le jugement est sans doute trop rapide : rien ne dit que, si le oui l’emporte, la mission de Raffarin ne sera pas prolongée, avec une équipe remaniée, ne serait-ce que pour mener à bien les réformes envisagées. Par la suite – ou dans le cas d’une victoire du non -, une nouvelle « inflexion » pourrait être donnée à l’action gouvernementale, sous la conduite de l’un ou l’autre des quatre favoris pour le poste de Premier ministre : Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie, Jean-Louis Borloo et Thierry Breton. Quant au Parti socialiste, sa situation est encore plus compliquée, mais, quoi que prétendent ses responsables, un congrès devrait la clarifier, à l’automne…
Décidément, ce référendum-là sera lourd de conséquences.

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