Lette ouverte au président de la BAD…

Publié le 8 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Je me permets de vous écrire pour vous faire part de quelques réflexions sur la Banque africaine de développement (BAD), inspirées par plus de trente ans de pratique dans différents organismes. Et exprimer un voeu.
M. Donald Kaberuka, vous prenez la présidence de la BAD à un moment crucial de son existence. La Banque, qui opère depuis 1964, a atteint l’âge mûr. Il convient de se poser la question de l’efficacité de son action afin d’orienter comme il se doit ses futures interventions.
La BAD a financé de multiples projets dans tous les pays, mais a-t-elle rempli sa mission de développement et de renforcement de l’unité africaine ? À l’instar de la Banque mondiale, elle a considéré que le développement passe par la réalisation de projets, comme cela a été le cas pour l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Au bout d’un demi-siècle d’opérations, nous en sommes encore aujourd’hui à la lutte contre la pauvreté ! Pour éviter un nouvel échec, il faudrait penser « développement » et non pas « projets ». Qu’est-ce à dire ? Tout d’abord, faire l’inventaire des ressources et des potentialités de chaque pays ; ensuite, établir une stratégie de développement visant à renforcer leurs points forts et à réduire leurs points faibles ; enfin, arrêter des plans d’actions et de vrais « projets structurants », comme l’électrification ou l’éducation.
En Afrique, le problème a été pris par le mauvais bout en sautant les étapes essentielles. Les rares pays africains qui, en instaurant un ministère du Plan organisé et doté de moyens, avaient suivi la bonne approche ont fait des progrès remarquables. Les autres, qui ont réalisé des projets par-ci par-là, se trouvent bien moins lotis.
La BAD devrait être le moteur, le coordinateur du développement du continent. Elle avait initié il y a plus d’une décennie une réflexion, avec chaque pays, sur les « perspectives économiques ». Cette réflexion devait aboutir à une stratégie de développement à laquelle la BAD serait associée. Mais ce document s’est transformé en une liste de projets, dits prioritaires… Bien sûr, la Banque a besoin de faire du chiffre d’affaires, mais ne vaudrait-il pas mieux agir dans le cadre d’un plan d’action ? La Banque servirait de guide et de coordonnateur des différents financements dirigés vers l’Afrique.
Près d’un demi-siècle après les indépendances, le continent manque de données sur les possibilités de son développement. Mais, aujourd’hui, la Banque dispose d’un personnel de tout premier ordre et d’une expertise africaine et internationale pour impulser le développement de l’Afrique. Les gouvernements accepteront plus facilement les suggestions de la Banque que celles des pays développés, notamment en matière de bonne gouvernance, sans laquelle il est impossible d’attirer les investisseurs nationaux et étrangers.
Il faudrait aussi repenser la conception des projets en y associant des sociologues : implanter des projets sans la participation des populations et espérer un impact positif ne semble pas réaliste. Lancer l’audit dès le démarrage d’un projet et le répéter régulièrement, assurer le suivi de l’exécution de façon régulière, autant de pratiques qui font souvent défaut.
Les challenges qui vous attendent sont nombreux, mais combien exaltants : quoi de plus motivant que de participer au développement et à la cohésion de l’Afrique ! Perspective enivrante, mais combien difficile. Vous vous sentirez souvent bien seul et bien faible face aux routines, aux réticences, aux a priori, aux obstacles et aux exigences des uns et des autres. Hostile à la création de la BAD, le président de la Banque mondiale de l’époque, Eugène Parker, se demandait ce que la future BAD pourrait faire que la Banque mondiale ne serait pas en mesure d’accomplir… Dr Romeo Horton, président de la Commission chargée de préparer la création de la BAD, lui répondit qu’il ne s’agissait pas d’une compétition mais de la création d’« une banque ayant pour objectif le développement et l’unité de l’Afrique ». Quarante ans après, cet objectif est plus que jamais d’actualité. La BAD est toujours la mieux placée pour y contribuer.
Pour terminer, voici mon voeu : soyez, Monsieur le Président, un leader, pas un chef de village, un visionnaire, pas un omnipotent, un homme respectueux de ses collaborateurs mais exigeant quant à la qualité de leur travail.

* Ingénieur géologue, a travaillé à la BAD de 1975 à 1990 comme expert puis comme chef de division et directeur. Tunisien, il est résident en Côte d’Ivoire.

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