« Dégâts collatéraux »

Ajoutées au niveau élevé des commissions, les réglementations antiterroristes ont bien fait des victimes : les immigrés !

Publié le 8 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Si les mesures de contrôle renforcé des transferts de fonds instaurées au lendemain du 11 Septembre n’ont guère ému les terroristes et les trafiquants de drogue, elles ont fait en revanche de nombreuses victimes collatérales : les immigrés nigérians en Belgique, indiens en Grande-Bretagne, sénégalais en Allemagne, colombiens aux États-Unis, ou tonguiens en Nouvelle- Zélande, pour ne citer qu’eux, qui envoient quelque 200 dollars par mois à leur famille. En outre, les commissions prélevées sur les petites sommes transférées à l’étranger, transactions typiques des travailleurs migrants non qualifiés, sont dissuasives. Certaines études ont démontré que si l’on réduisait le coût des opérations, leur nombre total augmenterait en moyenne de 50 % et serait même multiplié par deux en ce qui concerne les envois vers l’Afrique.
Seule une partie de ces frais inclut le coût de la guerre contre le terrorisme, mais c’est encore beaucoup trop à une époque où tout impose une réduction des commissions. Comme les flux migratoires, le nombre de versements s’est accru de façon exponentielle. En même temps, grâce à l’Internet et à la chute du prix d’un appel international, les frais de communication ont sensiblement baissé.
Une récente enquête de la Banque mondiale souligne que les mesures antiterroristes sont en partie responsables de la rigidité de la réglementation et de l’absence de concurrence, deux facteurs qui expliquent le niveau élevé des commissions. Non sans prudence, la Banque note que ceux qui font les frais de la réglementation post-11 Septembre sont les usagers, et qu’il est parfois impossible d’obtenir des renseignements sur son client quand ce dernier n’a pas de compte en banque.
Les nouvelles réglementations ont également bénéficié aux banques et aux organisations qui opèrent d’importants transferts, aux dépens des canaux plus petits et meilleur marché. « Aux États-Unis, indique la Banque mondiale, des centaines de banques ont fermé leurs services de transfert d’argent, de peur d’être inquiétées par les autorités parce qu’elles soutenaient des clients à « haut risque ». » On observe la même tendance dans d’autres pays développés.
Le rapport montre à quel point les frais peuvent être élevés. Pour un transfert de 200 dollars, un grand organisme prélève 12 % entre la Belgique et le Nigeria, 11 % entre la Grande-Bretagne et l’Inde, 5 % entre les États-Unis et le Mexique et 4,5 % entre Hong Kong et les Philippines. Les banques pratiquent en général des tarifs moins élevés, mais elles sont plus difficiles d’accès. Les petits organismes sont moins onéreux, mais ils sont les plus touchés par la réglementation.
La méthode la moins coûteuse reste la hawala, pratiquée en Inde et au Moyen-Orient, ainsi que ses équivalents en Chine et ailleurs : le transfert informel fondé sur la confiance. Pour un versement de 200 dollars, la commission ne dépasse pas les 2 %. La fraude est très rare, mais c’est précisément ce système que les régulateurs regardent avec suspicion. Pour eux, les grands organismes sont les seuls garde-fous contre les envois illicites. Les gros transferts, par exemple entre trafiquants de drogue birmans et Singapour ou Hong Kong, empruntent des voies plus officielles. Mais les régulateurs des pays développés trouvent plus commode de se concentrer sur le mystère que sur l’évidence.
Outre la réglementation antiterroriste, l’absence de concurrence dans le secteur financier, la volatilité des taux de change et le contrôle des monnaies entravent également les transferts. Les Philippines ont montré qu’en réglant ces problèmes les commissions diminuaient et le nombre de versements augmentait significativement. En dépit de la guerre contre le terrorisme, le coût des opérations entre les États-Unis et le Mexique a également baissé, en raison de l’accroissement du volume des transferts et des mesures prises par Mexico pour limiter les frais du récipiendaire.
Mais ceux qui envoient de l’argent à l’étranger pourraient perdre 5 à 10 milliards de dollars par an à cause des aberrations du système et des profits excessifs dégagés par les banques et les organismes de transfert. Les versements potentiels que le montant des frais et la complexité du système dissuadent pourraient s’élever à 50 milliards de dollars par an. Pour le privilégié qui envoie 5 000 dollars pour régler des frais de scolarité, la commission est un coût supplémentaire mineur. Pour celui qui, tous les mois, fait parvenir à sa famille ces précieux 200 dollars, c’est un impôt disproportionné.

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