La table ronde en cinq thèmes clés

Publié le 7 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

1 – Les multinationales misent sur les managers locaux

Ecofinance : La politique de recrutement des entreprises internationales a-t-elle changé ces dernières années sur le continent ?
Xavier Debreux : Auparavant, les sociétés occidentales envoyaient beaucoup d’expatriés gérer leurs filiales à l’étranger. Aujourd’hui, de manière croissante, elles misent sur les cadres locaux. Pour autant, leurs carrières ne se distinguent pas de celles des autres : nos responsables africains doivent faire leurs preuves, au même titre que leurs homologues dans les filiales européennes ou américaines. Comme les autres, les managers locaux ont toutes leurs chances d’avoir des postes de commandement s’ils se distinguent.
Frédéric Guinier : Dans notre cas, l’africanisation des cadres résulte d’une volonté déterminée d’expansion de nos activités dans le monde. Nous passons de l’état de société exportatrice à celui de groupe international. Notre stratégie comprend un fort développement commercial sur le continent et nous avons choisi de nous déployer à partir de Lagos, au Nigeria, d’où nous rayonnerons sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, où nous sommes déjà bien implantés. Nous recherchons donc des cadres pour notre filiale nigériane, en cours de création, mais aussi des managers « exportables », c’est-à-dire qui soient capables d’accompagner notre développement dans telle ou telle région.
Isabelle Blin : Plus généralement, j’observe une évolution des pratiques dans les entreprises africaines où la bonne gestion, l’éthique et le social sont des concepts qui commencent à s’imposer. Et cela se ressent dans l’état d’esprit des candidats que nous sommes amenés à rencontrer.
Didier Acouetey : En effet, je constate aussi une évolution de la mentalité des cadres africains, qui se rapprochent de la culture des grands groupes. Avant, les jeunes diplômés acceptaient un peu tout et n’importe quoi. Aujourd’hui, particulièrement dans les pays d’Afrique qui comptent un important tissu d’entreprises, les jeunes ont une démarche beaucoup plus volontariste. Ils choisissent les entreprises pour lesquelles ils veulent travailler et sont capables d’adapter leur candidature pour mieux correspondre au poste.

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2 – Trop de généraux : pas assez de lieutenants !
Ecofinance : Trouve-t-on vraiment tous les profils sur le marché du travail ?
Frédéric Guinier : Je pense qu’il n’y a pas assez de formations techniques. Une entreprise, c’est avant tout des lieutenants et des capitaines.
Xavier Debreux : Il manque effectivement beaucoup de filières bac + 2. Ce sont des comptables, des techniciens spécialisés, des chefs de chantier, des informaticiens, etc. Cela nous oblige à travailler de concert avec les écoles de formation aux niveaux national et régional. En faisant remonter nos besoins, on peut influer sur le contenu des formations.

Ecofinance : Quels sont les secteurs d’activité les plus porteurs ?
Didier Acouetey : Les sociétés recrutent de plus en plus de cadres dans les ressources humaines, la comptabilité et l’informatique. Les entreprises ont besoin de spécialistes dans ces domaines, beaucoup plus que dans le droit et la macroéconomie ou la culture. Les étudiants ont donc tout intérêt à privilégier les études supérieures qui permettent de postuler à des fonctions dans ces secteurs d’activité.

3 – Créer sur place les filières de formation appropriées

Ecofinance : D’une manière générale, le niveau des cadres africains a-t-il progressé ?
Anne-Marie Klein : La qualification des cadres est de plus en plus poussée. On trouve des hommes et des femmes très bien formés pour la plupart des postes. Ce qui n’empêche pas que nous devions prévoir des plans de formation en interne et des programmes de développement pour répondre à la spécificité de nos métiers et du fonctionnement des entreprises.

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Ecofinance : Les grandes écoles ou universités européennes ou américaines constituent-elles toujours la panacée ?
Anne-Marie Klein : Les pays du continent comptent de plus en plus de filières spécialisées et de haut niveau, notamment au sein des écoles privées. Mais l’obtention d’un diplôme, comme le MBA (Master of Business Administration), dans les pays du Nord, reste un rêve pour de nombreux étudiants et un sésame pour bon nombre de fonctions de direction.

Ecofinance : Comment est né le MBA banque et finance du Cesag, à Dakar ?
Gilles Morisson : Nous sommes toujours intervenus pour former les cadres qui travaillent dans des institutions comme la Banque des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et d’autres banques centrales africaines, avec lesquelles nous entretenons des relations de longue date. Au lieu d’organiser des formations coûteuses en France, nous avons eu l’idée, avec la BEAC et la BCEAO, de créer un MBA banque et finance. Nous avons opté pour le Centre africain d’études supérieures en gestion (Cesag), installé à Dakar, qui forme des gestionnaires efficaces depuis 1985 tout en tenant compte des réalités de l’environnement africain. Le MBA du Cesag assure une formation de haut niveau sur la gestion des risques, les matières premières, la gestion des changes et la culture des marchés. Les cours sont bilingues, français et anglais, et donnés par des professeurs des plus grandes universités et écoles européennes et africaines, notamment l’Insead, la faculté de Dauphine, et des intervenants extérieurs de la BEAC, de la Banque de France, etc. Chaque année, 40 nouveaux élèves en provenance de divers pays africains intègrent le MBA.

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4 – Ne pas comparer les salaires avec ceux de l’Europe
Ecofinance : Les Africains qui vivent en Europe désirent-ils rejoindre leur continent ?
Rokhaya Ndiaye : En tant que Sénégalaise, j’ai envie de retourner travailler en Afrique, dans un environnement favorable à mon développement professionnel et familial, comme d’ailleurs beaucoup de cadres africains qui vivent en Occident.

Ecofinance : Revendiquez-vous le même salaire qu’en Europe ? Êtes-vous prête à faire des efforts ?
Rokhaya Ndiaye : Je suis prête à faire des concessions, car les opportunités de carrière et les responsabilités sont souvent plus intéressantes sur le continent. Et puis, la vie est moins chère. On ne peut donc pas comparer les grilles de rémunération.
Xavier Debreux : Il faut prendre en compte le coût du marché du travail. Et adapter les rémunérations pour que les cadres ne perdent pas leur niveau de vie.
Didier Acouetey : L’incompréhension vient souvent des cadres africains en contrat local qui voient des expatriés avec le même niveau de compétence toucher des salaires trois à quatre fois supérieurs. L’expatriation justifie des compensations financières, mais il faut garder des fourchettes raisonnables et veiller au plan de carrière des employés africains, que ce soit au niveau des responsabilités qu’à celui des salaires.
Frédéric Guinier : Il faut garder en mémoire que nous sommes dans une économie de marché. Si on emploie un cadre compétent que l’on paye mal, il sera repéré par nos concurrents et répondra favorablement à leurs offres.

5 – Recruter en Afrique est un chantier particulier
Ecofinance : Est-il difficile de dénicher les candidats qui répondent aux aspirations de vos groupes ?
Anne-Marie Klein : Il faut vraiment préciser les besoins si l’on ne veut pas être submergé par les candidatures. Nous avons lancé une offre de recrutement dans les médias et nous avons eu plus de 6 000 réponses. Cela demande un travail énorme de sélection. Mais, pour trouver les « oiseaux rares », il ne faut plus se contenter d’attendre que les étudiants viennent nous voir ou répondent à nos offres. Comme dans les autres régions du monde, on les devance en allant à leur rencontre.
Isabelle Blin : Recruter en Afrique est un chantier particulier. Il faut clairement identifier le profil du poste et de la personne recherchée. Sinon, les réponses les plus diverses parviennent, ce qui complique le traitement des dossiers. Nous utilisons généralement la couverture presse et nous avons d’excellents retours.

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