Chariat-Madari, l’ayatollah de la presse

En regard du directeur de Kayhan, principal organe des « durs » du régime, le président Mahmoud Ahmadinejad fait presque figure de modéré.

Publié le 7 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

« Un petit dictateur cruel et mesquin » C’est ainsi que Lee Bollinger, le doyen de l’université Columbia, a qualifié, le 24 septembre, son invité, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, venu à New York participer à l’Assemblée générale des Nations unies. Ces péripéties n’ont pas ébranlé les convictions de Hussein Chariat-Madari, le directeur de Kayhan, le journal des « durs » à Téhéran. Dans un entretien avec les envoyés spéciaux du Financial Times, Roula Khalaf et Najmeh Bozorgmehr, il considère que le voyage de son président a été « extrêmement réussi ». À la une de Kayhan, le 26 septembre, on pouvait lire : « Cinq cents millions de personnes ont écouté son discours. John Bolton [l’ex-ambassadeur des États-Unis à l’ONU] a déclaré qu’Ahmadinejad avait atteint son objectif, et Haaretz [le quotidien israélien] estime que l’État hébreu a été le perdant. »
À 58 ans, Chariat-Madari est depuis quinze ans le directeur du quotidien Kayhan, en persan « le monde ». Il a été nommé à ce poste par le Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, dont il est resté un proche conseiller. Même s’il est courtois, sourit fréquemment et parle d’une voix douce, « les propos qu’il tient, derrière sa barbe grise, écrit le Financial Times, feraient passer Ahmadinejad pour un modéré ».
Lorsqu’il avait 27 ans, Chariat-Madari a été condamné à la prison à vie, après avoir été torturé par la Savak, la police du shah : ongles des doigts et des orteils arrachés, dents cassées Au bout de quatre ans, il est libéré par la Révolution islamique de 1979 et s’engage dans les Gardiens de la Révolution. Il sert avec rang de capitaine pendant les huit ans de la guerre avec l’Irak. Certains le soupçonnent d’avoir des liens avec les services secrets et même de participer à des interrogatoires. Il nie en bloc, même s’il approuve le travail des « interrogateurs ». Lui se contente d’offrir à ses visiteurs des pommes ou des figues, selon la saison, et des sucreries. Il s’est donné pour mission, à la tête de Kayhan, de servir et de promouvoir l’esprit de la Révolution islamique.
À ses yeux, le fait que la politique de Téhéran et les déclarations d’Ahmadinejad aient aggravé l’isolement du pays n’est pas un problème, bien au contraire. « Notre peuple, dit-il, veut qu’on respecte sa dignité. Le temps de l’intimidation, c’est fini. »
Chariat-Madari estime que l’Iran devrait prendre ses distances avec le traité de non-prolifération nucléaire. Selon lui, la crise du nucléaire iranien ne sera pas résolue par une nouvelle résolution de l’ONU qui renforcerait les sanctions. Il affirme au Financial Times que l’Iran ne cherche pas à se doter de l’arme nucléaire. « C’est, dit-il, le prétexte que se donnent les États-Unis pour forcer Téhéran à les aider à sortir de la débâcle irakienne. Ils sont pris dans un bourbier et seul l’Iran peut les en sortir. Les Américains ont besoin de l’autorité et de l’influence des Iraniens. »
C’est pourquoi la probabilité de frappes militaires américaines contre l’Iran lui paraît « très faible ». « Le bruit qu’on fait en Occident relève de la guerre psychologique, estime-t-il. Les Américains croient qu’en nous faisant peur ils arriveront à leurs fins. Mais ils ne sont même pas capables de gagner une guerre. Nous, nous pouvons nous venger de ceux, quels qu’ils soient, qui nous attaqueraient. »
Le mépris dans lequel Chariat-Madari tient les États-Unis est une de ses constantes. Dans une interview accordée en mai dernier au quotidien de langue arabe basé à Londres, Asharq Al-Awsat, il déclarait : « Dieu a été bon avec nous parce que notre ennemi George W. Bush est stupide. Sa stupidité nous a été très utile. En attaquant l’Irak, Bush a mis fin au règne de Saddam Hussein et nous en profitons Aujourd’hui, des gens qui étaient en exil en Iran sont au pouvoir en Irak »
Quelle forme prendrait éventuellement la « vengeance » ? Chariat-Madari laisse entendre que l’Iran se prépare, mais il ne veut pas en dire plus. Il y aurait « certainement » une guerre contre Israël. Les missiles iraniens ont une portée de 2 500 km, bien au-delà des frontières du pays. Les États-Unis sont « accessibles » parce qu’ils sont présents à la fois en Irak et en Afghanistan. Et Téhéran n’a pas caché qu’il pourrait s’en prendre aux intérêts américains partout dans le monde.
Mais il y aurait aussi, selon Chariat-Madari, des conséquences désastreuses pour les alliés arabes des États-Unis, qui sont toujours enfoncés dans « un pré-Moyen Âge ». L’Iran a le soutien des masses arabes et musulmanes, elles peuvent très bien se soulever et « faire trembler les gouvernements ». Des pays comme l’Égypte et la Jordanie « sont comme des piliers en bois que les fourmis ont rongés de l’intérieur, et il suffirait d’une brise un peu forte pour qu’ils volent en éclats ». Quant au Koweït, au Qatar, aux Émirats arabes unis et autres pétromonarchies, ce ne sont même pas des États, mais de simples « comptoirs commerciaux ».
L’Iran aurait-il des visées expansionnistes sur la région ? demande le Financial Times. Réponse : « Nous avons montré que nous ne sommes pas pour la domination. » Si Téhéran intervient sur des problèmes arabes – la Palestine et le Liban sont deux exemples cités par Chariat-Madari -, c’est parce que leur population défend le monde et l’identité islamiques et que l’Iran n’a pas d’autre choix que de les soutenir.

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