Rachida Dati

Ministre française de la Justice

Publié le 7 septembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Sa vie durant, son père, M’Barek, aujourd’hui retraité à Casablanca, a bâti des murs. Brique par brique, rangée par rangée, étage par étage. Ça tient ? Au suivant. Son histoire, Rachida Dati l’a construite, à l’image de ce maçon obstiné qui lui servit d’exemple. Pierre par pierre, marche par marche, chapitre par chapitre, avec à chaque étage des habits neufs et une capacité de cloisonnement qui lui fait dire aujourd’hui que nul ne détient les clés de son existence. Si ce n’est elle, bien sûr, unique témoin de l’ensemble d’un itinéraire au fil improbable : Beurette, Marocaine, élève des surs carmélites, Française, étudiante, mariée, divorcée, aide-soignante, comptable, auditrice, magistrate, « cabinarde », ministre, députée et désormais, comme toute la France des médias, des people et des voyeurs a pu le constater, future maman à trois mois de ses 43 ans. Cette femme mystérieuse, secrète, cassante, exigeante, ambitieuse, excessive a pourtant fait le contraire de ce qui demeure la fierté de son père : elle a brisé presque autant de murs qu’il en a érigé. À chaque séquence de sa vie, il lui a fallu percer le plafond de verre du mépris, de l’exclusion, du soupçon. Arabe, musulmane, fille d’ouvrier immigré, provinciale, femme et bientôt mère célibataire : autant d’arrêts à la station cliché. On a douté de ses diplômes, de sa compétence, de sa loyauté, de son honnêteté. Demain, pourquoi pas, de sa maternité. Rachida Dati, entre fantasmes et réalité.

Parce qu’elle est solitaire et jalouse de ses jardins intimes, Rachida ne fait rien ou presque pour éclairer notre lanterne. À la question : « Personne n’a votre secret de fabrication ? » qui clôt son livre-entretien avec Claude Askolovitch*, elle répond simplement : « Non. » Alors, on cherche, ce qui n’a rien d’anormal s’agissant d’une personnalité publique dont raffolent les papiers glacés, qu’elle alimente d’ailleurs avec une certaine jubilation d’images clinquantes, de tailleurs Dior, de rouge à lèvres carmin et de sourires en émail diamant. On cherche, et parfois s’entrouvre une porte sur le passé recomposé, une marche, une rangée de briques dont on se dit qu’elle a dû être essentielle dans la construction de Rachida D. Ainsi, nul autre qu’elle et nous, à Jeune Afrique, ne se souvient que, lycéenne à Chalon-sur-Saône, puis étudiante à Dijon, la fille de M’Barek et de Fatima Zohra écrivit à notre journal pendant des années. Elle avait entre 17 et 24 ans et des blessures qu’elle exprimait dans des lettres dignes et sensibles. Au cours de ses entretiens avec Askolovitch et dans toutes les interviews qu’elle a données, elle a préféré estomper cette période charnière. À tort ? Peut-être. Mais on peut la comprendre, elle qui se bat pour ne pas être « réduite à ses origines », qui se dit « incapable de lire » son parcours « de façon ethnique », elle qui n’est pas Rachida le symbole de l’intégration à la française mais Mme Dati, garde des Sceaux de la République. Pourtant, on pressent que ces années d’hésitation, un pied de chaque côté de la Méditerranée, furent décisives. Thèmes récurrents de ces lettres : le déchirement des familles algéro-marocaines comme la sienne séparées par le conflit du Sahara ; le mythe de l’Union du Maghreb, qui résoudrait tout ; les bouffées de malaise d’une jeune fille ardente née en France et qui doit « choisir » de devenir française à l’âge de 18 ans ; le racisme, Le Pen, les sans-papiers, la tentation permanente du retour au pays des ancêtres, la crainte du double rejet ici et là-bas, Israël et les Palestiniens. Et, enfin, le choix final, la fin de la crise, la marche suivante, la rangée de briques supplémentaire : la volonté définitive d’une « enfant d’étrangers », comme elle l’écrit, d’intégrer « l’élite intellectuelle et professionnelle » française.

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Mai 1989. Rachida Dati a 24 ans et sa correspondance à J.A. cesse au moment où elle intègre, à Paris, le groupe Matra. Toute neuve, comme à chaque fois qu’elle arrive dans un nouvel endroit, emportant avec elle ces lettres qui résolvent une partie de son énigme, mais qui désormais lui appartiennent. Peut-être choisira-t-elle un jour de les lire à l’enfant qu’elle porte

* « Je vous fais juges », Grasset, Paris, 2007.

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