Ces prélats qui s’opposent

Archevêques ou simples abbés, ils prennent part au débat démocratique et sont la voix des populations silencieuses.

CECILE-MANCIAUX-2024

Publié le 7 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

L’intrusion la plus marquante du clergé catholique dans l’arène politique africaine passe par la figure des évêques ayant assumé la présidence de Conférences nationales souveraines (CNS) constituées au début des années 1990 pour engager des réformes institutionnelles. Mgr Ernest Kombo au Congo, Laurent Monsengwo en RD Congo, Philippe Kpodzro au Togo, Basile Mve au Gabon sans oublier Mgr Isidore de Souza, fervent opposant au marxisme déchirant le Bénin et qui, de 1990 à 1993, présida la CNS, l’Assemblée puis le Haut Conseil de la République. Plus généralement, dans les homélies mais aussi à travers ses écoles et dispensaires, ses médias, l’Église catholique s’avère fort influente, y compris auprès des non-catholiques. D’où la tendance de certains régimes à vouloir la phagocyter ou la briser.

Des archevêques éminemment politiques

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En nommant Mgr Laurent Monsengwo archevêque de Kinshasa en décembre dernier, Benoît XVI a promu un prélat très politique. À l’instar de feu le cardinal Malula, il s’élève contre la dictature et devient en 1991 président du bureau de la CNS puis du Parlement de transition. Mais Mobutu a raison du processus démocratique et, en 1995, menacé de mort, Mgr Monsengwo doit démissionner. Quelques mois plus tard, quand Laurent-Désiré Kabila lance sa « libération nationale », l’archevêque s’efforce de conserver un rôle de médiateur jusqu’aux accords de Lusaka, signés en 1999. « Oui, dit-il, l’Église fait de la politique, mais à sa façon et de manière variée. » Il a d’ailleurs lancé, le 15 août dernier, la télévision Elikya (voir page 27).
Connu pour ses prises de position acerbes à l’égard du président Biya, le cardinal-archevêque de Douala, Christian Tumi, a, lui, déjà créé sa radio, Véritas, ainsi qu’un hebdomadaire, L’Effort camerounais. En vingt ans, plusieurs de ses homélies et pastorales l’ont conduit devant le conseil de discipline provincial, et ses mémoires publiés l’an dernier, Les Deux Régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre, ont fait grincer des dents au palais de l’Unité. Toujours en poste, à la demande du Saint-Siège, bien qu’un nouvel archevêque ait été nommé, Mgr Tumi ne manque pas une occasion de monter au créneau.
La position de Mgr Louis Portella, au Congo-Brazzaville, est plus délicate. Sa médiation dans le conflit du Pool a abouti à un accord, en juin 2007, entre le gouvernement et Frédéric Ntumi Bintsamou, dit pasteur Ntumi, chef du Conseil national des républicains (CNR, ex-rébellion, qui n’a finalement rendu les armes qu’en juin 2008). Pourtant, en octobre dernier, les miliciens du CNR l’ont roué de coups. Enfin, parmi les sujets qui fâchent, l’évêque de Kinkala prône « l’éveil de la conscience critique des citoyens contre la désinformation », s’interrogeant tout haut sur la gestion de la rente pétrolière, la récurrence de la violence et de la pauvreté et est accusé par les médias progouvernementaux de vouloir déstabiliser le pays.
Opposant le plus redoutable du président zimbabwéen Mugabe, Mgr Pius Ncube a dû démissionner de sa charge d’archevêque en septembre 2007, pris en flagrant délit d’adultère, la vidéo floue de ses ébats ayant été, comme par hasard, abondamment diffusée par la télévision publique. Une aubaine pour Mugabe à la veille de la présidentielle, qui se plaignait auprès de Rome du militantisme du prélat. Soutenu par l’ensemble des évêques de la sous-région, Ncube a préféré éviter les représailles envers son Église en démissionnant ajoutant tout de même qu’il n’en exprimerait pas moins son avis.

La « bête noire » d’Eyadéma

Idem au Togo, où l’évêque émérite de Lomé, Philippe Kpodzro, bien qu’il ait pris sa retraite l’an dernier, garde une voix dans l’opposition. Il donne le ton dès 1991 quand, refusant que l’Église soit un instrument de propagande, il ouvre sa présidence à la CNS en paraphrasant Mirabeau, « nous sommes ici par la volonté du peuple et n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Adage malheureusement vérifié puisque le général Gnassingbé Eyadéma suspend les travaux de la CNS et s’acharne à mener la vie dure à l’évêque. Ce dernier s’évertuera malgré tout à soutenir l’opposition et à critiquer, en 2005, l’accession à la présidence du fils d’Eyadéma, Faure. Jusqu’à être brièvement interpellé, en juillet 2005, accusé de fomenter un coup d’État contre le nouveau chef de l’État.
La curie romaine n’est pas exempte de fortes têtes. Le cardinal nigérian Francis Arinze, à Rome depuis 1984 et préfet de la Congrégation romaine pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2002, a dû quitter son pays pour ses positions sur la guerre du Biafra. Le Guinéen Mgr Tchidimbo, accusé de complicité active avec l’ennemi et condamné aux travaux forcés, gardera jusqu’à sa mort les séquelles de son incarcération dans les geôles de Sékou Touré, de 1974 à 1979, date à laquelle il fut exilé à Rome. Son digne successeur à l’archevêché de Conakry, Mgr Robert Sarah, a pour sa part prononcé en 2001 un violent réquisitoire contre le régime du général Lansana Conté, alors qu’il quittait la Guinée pour rejoindre le Vatican (où il est depuis Secrétaire de la congrégation pour la propagation de la foi). Quant au père Godefroy Sankara, neveu du président burkinabè assassiné en 1987, il est toujours en « année sabbatique » à Rome. Lors de ses rares visites au Burkina, il garde profil bas.

De la curie romaine au simple prêtre

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Plus discrets car moins protégés, nombreux sont les prêtres et religieux qui, dans leurs homélies et au quotidien, s’investissent pour défendre les principes démocratiques. C’est le cas de l’abbé Apollinaire Malu Malu, président de la Commission électorale indépendante de RD Congo depuis 2003, ou du père néerlandais Balemans, missionnaire au Burkina de 1957 à 2007, connu pour sa contribution au Réseau national de lutte contre la corruption (REN-LAC) et sa rubrique « Droit dans les yeux » dans Le Pays. Au Burkina, « il y a, dit-il, deux principales forces morales, l’Église et l’islam. Si les deux s’engagent clairement, les choses pourraient changer positivement. Maintenant, si chacun se dit qu’il ne veut pas avoir de problème, on n’arrivera à rien. »

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