Monde arabe : l’âge des libertés

Publié le 7 août 2005 Lecture : 4 minutes.

Sublimes et inespérées, ces images des masses arabes, poings en l’air, réclamant la liberté, à Beyrouth, à Bahreïn, au Caire ou au Maghreb. Images qui annoncent un printemps, longtemps reporté, et souvent avorté. Farid Zakaria, l’excellent éditorialiste de l’hebdomadaire Newsweek, me parlait de l’exception arabe, thème qu’il a développé dans son remarquable ouvrage The Future of the Freedom (L’Avenir de la liberté, Odile Jacob, Paris, 2003) où il essaie de diagnostiquer le retard pris par le monde arabe dans les bénéfiques mutations qui secouent les nations, redessinent les cartes, changent les donnes et libèrent les énergies.
Il est aujourd’hui prouvé que les dictatures sont les véritables sources du terrorisme et du sous-développement, sources que la communauté internationale est appelée à tarir, pour affranchir l’homme, libérer le génie des sociétés civiles et préparer pour l’humanité un avenir de paix durable et de sécurité véritable. La violence et son enfant légitime, le terrorisme, prennent racine dans le terreau des sociétés bloquées, un homme solitaire, sans aucune légitimité ni contre-pouvoir, parfois même bien intentionné – ou, comme disait Sartre, « un honnête homme de mauvaise foi » -, se retrouve au cours de son très long règne l’otage involontaire d’une toile mafieuse et corrompue, manipulé par les nouveaux clans du business, de la débrouille et du déni du droit, qui s’agrippent au pouvoir personnel, pour en devenir les gardiens, après en avoir été les produits, en attendant d’en devenir demain les bourreaux.
C’est ainsi que dans la majorité des régimes arabes se mettent en place des dictatures d’un autre âge et qui, au gré des époques, troquent leur fonds de commerce idéologique contre un autre, susceptible de plaire aux nouveaux maîtres du monde, avec l’unique souci de préserver leurs pouvoirs et leurs privilèges. L’actuel fonds de commerce est la contribution de ces régimes à la guerre livrée à juste titre au terrorisme, qu’ils s’acharnent, paradoxalement, à engendrer et à nourrir. L’exemple libyen en est la meilleure et la plus ridicule illustration.
La révolte devient la seule forme d’expression, et la violence l’unique réponse à un État-monstre, assassin de la société civile et fossoyeur des libertés. Quel terrain fertile et propice pour que les illuminés de tous les fanatismes y récoltent les désillusions cumulées de vieilles idéologies et les désespoirs nourris par des systèmes sans projet, parce que sans libertés.
Certains diraient que l’islam est incompatible avec la démocratie ! Les exemples de la Malaisie, de l’Indonésie et de la Turquie prouvent le contraire. Quelle que soit sa religion, une nation peut accéder à la vertu démocratique, à condition d’adhérer préalablement à la modernité et d’opérer sa propre reconversion aux valeurs universelles de la tolérance et du respect de l’autre et apprendre à élire ses gouvernants et à assumer son destin.
Au lieu d’anticiper les grandes mutations irréversibles de l’Histoire et les profonds bouleversements des sociétés par la mondialisation et les moyens de communication, les régimes arabes s’acharnent à bricoler les contrefaçons de la bonne gouvernance, des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de l’État de droit et des suffrages. Nous nous trouvons aujourd’hui en face d’un énorme marché aux puces (politiques), où le toc et les gadgets remplacent les authentiques réformes, dans un délire pathologique d’une schizophrénie institutionnelle sans précédent.
Le spectacle devient aussi désolant que tragique ! Des milliers de cadres hautement qualifiés, des milliers de jeunes diplômés et d’inestimables énergies intellectuelles se retrouvent ainsi frustrés, marginalisés par l’absence de toute chance réelle de participation au destin de leurs pays, et candidats à l’exode.
L’Occident commence à interpeller le monde arabe et à vouloir comprendre les raisons de sa malheureuse exception. Le président Bush a remis en question la traditionnelle politique américaine de soutien aux dictateurs, par souci de stabilité, reconnaissant aujourd’hui que ces dictatures sont les véritables usines de production et de recyclage de l’instabilité et de la violence. L’Europe paraît plus réaliste et moins messianique, mais sera demain confrontée aux graves dérives des non-États, qui, si on néglige maintenant de les rappeler à l’ordre, risquent de provoquer une gigantesque Intifada allant du golfe Arabo-Persique à l’océan Atlantique, jusqu’aux confins de l’Europe. L’Europe est pourtant riche de sa propre expérience de démocratisation des trois pays égarés, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, forte de l’arsenal coercitif du traité de Barcelone, et habilitée, grâce à ses liens historiques et culturels avec cet Orient compliqué, à promouvoir la bonne gouvernance afin de juguler le désastre.
Le monde subira certainement ce tsunami de civilisation qui s’annonce, faute de l’avoir prévu à temps. Pourtant, les alertes ne cessent de se multiplier. Par exemple, le troisième rapport du Pnud dont le seul titre révèle son contenu : Le Déficit démocratique du monde arabe.

* Universitaire et ancien député tunisien, dernier livre paru : L’Image de l’islam en Occident (éd. Eurabe, Paris 2003).

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