Carrefourmania

Depuis son ouverture, en janvier, près de la capitale, le supermarché du géant français de la grande distribution ne désemplit pas.

Publié le 7 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

P our un coup d’essai, c’est un coup de maître. L’ouverture, le 16 janvier 2006, du premier supermarché Carrefour a suscité un grand engouement chez les consommateurs algériens. Situé à Hussein-Dey, un quartier populaire de la banlieue est d’Alger, le magasin ne désemplit pas. « Nous recevons en moyenne 6 000 clients et quelque 30 000 visiteurs par jour, déclare Boukara Hubert, directeur général d’Ardis, le partenaire algérien associé au géant français de la grande distribution. Le premier jour, nous avons reçu 10 000 personnes. Le rush était tel que nous avons dû fermer les portes pour éviter des débordements. Mais nous sommes satisfaits des résultats. » Tellement satisfaits que les dirigeants du nouveau groupe envisagent d’ouvrir dix-huit supermarchés dans plusieurs grandes villes du pays d’ici à 2012. Un pari d’autant plus réaliste qu’en Algérie le marché de la grande distribution est tout simplement inexistant depuis le démantèlement, au début des années 1990, des magasins d’État (les Galeries algériennes et autres Souk el-fellah). Dès lors, le consommateur algérien était contraint de s’approvisionner auprès des établissements de proximité, dans les magasins d’alimentation générale ou dans les marchés populaires qui essaiment à travers le pays.
Longtemps boudé pour cause de terrorisme islamiste et d’instabilité politique, le pays, avec son marché de 33 millions de consommateurs, suscite aujourd’hui l’intérêt des investisseurs étrangers. À l’instar des hydrocarbures, de la téléphonie mobile, du bâtiment et des travaux publics, le secteur de la grande distribution attise la convoitise des enseignes internationales telles qu’Auchan, Champion, Casino et bien sûr Carrefour. C’est ce dernier qui a eu, le premier, l’idée de pénétrer le marché algérien.
Les premières discussions entre les dirigeants de Carrefour et d’éventuels associés algériens démarrent discrètement dans le courant de l’année 2005. D’emblée, un partenaire s’impose : Arcofina. Présent dans la grande hôtellerie, les assurances, la santé, les télécommunications, les services et la promotion immobilière, le groupe Arcofina est dirigé par Rahim Mohamed Abdelwahab. Réputé proche du pouvoir, cet homme n’est autre que le propriétaire du prestigieux hôtel Hilton, situé à deux minutes de l’aéroport international d’Alger. Arcofina crée alors une nouvelle filiale, Ardis, et s’associe à Carrefour pour la mise en place de la première chaîne d’envergure internationale de magasins spécialisés dans la grande distribution. Montant global de l’investissement : quelque 3 millions d’euros.
Sur trois étages d’une superficie commerciale de 3 000 m2, le supermarché de Hussein-Dey propose à sa clientèle une variété de produits essentiellement algériens. « Nous faisons confiance aux producteurs locaux. Pour les produits fabriqués à l’étranger, nous faisons appel aux importateurs algériens, qui s’approvisionnent en Europe, au Moyen-Orient et en Asie », indique Boukara Hubert. Ce Franco-Algérien de 55 ans a fait ses classes chez Carrefour en Turquie, en Tunisie et en France avant d’atterrir à Alger. « Notre objectif, précise-t-il, est que chaque produit soit disponible à toute heure de la journée, chaque semaine et durant toute l’année. » Voilà un service que le consommateur algérien appréciera, lui qui a été longtemps habitué aux pénuries.
Au Carrefour de Hussein-Dey, le client peut donc consommer local à des prix abordables. La baguette de pain chaud sort tout droit de la boulangerie du magasin, les poissons sont péchés en Algérie, les légumes arrivent des plaines de la Mitidja, la viande et la volaille sont fournies par des éleveurs algériens, les produits laitiers et les fromages sont achetés auprès des fournisseurs de l’Oranie et de la Kabylie. Il n’empêche, le client vient aussi chez Carrefour pour trouver des produits made in France. Bien sûr, l’impact des chaînes télévisées étrangères se fait naturellement ressentir chez les Algériens, particulièrement friands des programmes proposés par les télévisions françaises. Aguiché par les spots publicitaires vantant les mérites de tel ou tel produit, le consommateur veut acheter français. « Nous sommes heureux de favoriser la production nationale, mais les clients réclament des produits Carrefour parce qu’ils les connaissent », explique Hugues Bailly, directeur général de Carrefour Algérie. Aussi les responsables comptent-ils bientôt garnir leurs rayons de toute une gamme de produits identiques à ceux disponibles dans les grands magasins de France. Les clients sont prêts à débourser davantage si le produit est d’origine française garantie. Farid, directeur d’une agence de communication à Alger, résume la situation : « Je suis prêt à payer plus dès lors que les produits sont de meilleure qualité. Mon fils, qui regarde les programmes de TF1, de France2 ou de M6, exige des céréales Kellog’s au petit déjeuner, ma fille veut des poupées Barbie et ma femme ne jure que par les produits de beauté de L’Oréal. Chez Carrefour, au moins, je sais que ce ne sont pas des produits de contrefaçon. »
Le supermarché ouvert à Hussein-Dey a permis la création de 350 emplois. « Nous souhaitons que ce premier magasin serve d’école de formation pour les futurs cadres de l’entreprise, précise Boukara Hubert. C’est franchement une très bonne expérience, et nous comptons la poursuivre avec de nouveaux projets. »
Encouragés par ce succès, les dirigeants du groupe comptent en effet étendre leur réseau, d’abord à Alger, puis dans le reste du pays. Avec une population de 3 millions d’habitants, la capitale constitue un formidable gisement pour le marché de la grande consommation. Le nouveau magasin, qui sera mis en chantier dans les prochains mois, est un projet de grande envergure. Situé près de l’hôtel Hilton, cet hypermarché d’une superficie de 10 000 m2 sera intégré à un centre commercial de 25 000 m2. Quelque 1 200 emplois devraient être créés à la faveur du projet. Et Carrefour ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Nous sommes en train de prospecter des terrains à Oran, à Sétif, à Annaba et à Constantine. Nous comptons ouvrir des supermarchés dans toutes les grandes villes du pays. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement pas de supermarchés en Algérie. Demain, nous ne serons plus les seuls », prévient Boukara Hubert.
En effet, de nouveaux concurrents, locaux et étrangers, veulent investir dans le secteur. Le groupe Mehri, propriété de l’homme d’affaires originaire d’El-Oued (au Sud-Est), Djillali Mehri, envisage de lancer une chaîne de grande distribution. Le milliardaire kabyle Issad Rebrab, patron d’une des plus importantes entreprises d’agroalimentaire en Algérie, Cevital, s’apprête à lancer une chaîne de magasins Cash and Carry. Sans oublier le groupe Blanky, déjà propriétaire de six grands magasins dans la région d’Alger (voir encadré). « Cette concurrence est très stimulante. Le marché algérien est tellement vaste qu’il y a de la place pour tout le monde », conclut Boukara Hubert. Qui s’en plaindra ? Sûrement pas le consommateur algérien.

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